Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
seule et même chose, un
seul et même événement. À cet égard, il est intéressant de mettre en parallèle
une tradition nettement gnostique qui apparaît dans le livre apocryphe des « Actes
de Pierre et des douze apôtres ». Les Anges – qui sont clairement identifiés
avec les Éons de Lumière – interviennent
largement dans le débat. Et lorsque Thomas demande à Jésus à quelle date fut
intronisé l’archange Gabriel, la réponse de Jésus évoque « le drame dans
le ciel » lors de la chute du Premier-Créé devenu le « Fils de la
Perdition », après son refus de s’incliner devant l’image de Dieu créée en
Adam. La révolte de Satan-Lucifer serait donc, d’après cette tradition, son
attitude négative auprès d’Adam : il ne veut pas admettre de se voir
dépossédé de sa fonction de Premier-Créé au profit de l’Homme « créé à l’image
de Dieu ». D’où le rôle qu’on lui prête dans la tentation d’Adam et la
faute de celui-ci. D’où le bannissement de l’Ange révolté.
Car il s’agit d’un bannissement, d’une mise à l’écart, et
non pas à proprement parler d’une chute dans les abîmes de ténèbres. La vision
grandiose de Victor Hugo, dans les fragments de poème épique que constitue La Fin de Satan , lorsqu’il évoque la chute du Maudit
pendant des milliers d’années, correspond à une image pour ainsi dire « folklorique ».
Elle ne repose que sur l’imagination exacerbée des peuples chrétiens voulant à
tout prix donner à la mise à l’écart de Satan-Lucifer un caractère grandiose et
tragique. Ce ne sont que des images épiques empruntées aux diverses théogonies,
en particulier à celle d’Hésiode, lorsqu’il évoque la lutte entre les Olympiens
et les Titans. C’est ce qu’on retrouve dans l’ Apocalypse (XII, 7-12) : « Alors il y eut une bataille dans le ciel : Michel
et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta avec ses Anges, mais
ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc, l’énorme
Dragon, l’antique Serpent, le Diable, ou le Satan, comme on l’appelle, le
séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés
avec lui. »
Ce n’est donc pas dans les abîmes de l’Enfer, mais sur la terre , que Satan est exilé. Si l’on
retire à l’Apocalypse, comme l’ont fait les Pères conciliaires de Nicée, sa
valeur eschatologique, et si l’on redonne à ce texte fondamental son sens de révélation , la lutte de Michel contre Satan n’est
pas liée à la fin du monde : c’est une réalité de l’aube des temps lorsqu’on
admet une certaine signification chronologique, c’est
une réalité permanente de l’état du monde lorsqu’on donne au texte une
valeur métaphysique. La lutte de Michel et de Satan est symbolique, même si
elle a besoin d’être traduite en images grandioses. Et le Satan (car c’est un nom commun dans la Bible) se
trouve réellement sur la terre, avec ses propres Anges, et donc en compagnie
des hommes.
Une lecture attentive de l’Ancien Testament confirme cette
opinion : Satan-Lucifer est certes déchu, mais il n’a aucun des caractères
exceptionnels et monstrueux qu’on lui prête dans la mythologie chrétienne ou
dans le folklore de l’Europe occidentale. Au contraire, rien ne le distingue
apparemment des autres Anges, et, de plus, il semble même participer aux
activités des cohortes célestes. C’est ce qui ressort d’un passage de Zacharie (III, 1-2), où il est question d’une
véritable cour de justice présidée par l’Ange de Yahvé, et auprès de laquelle le Satan tient le rôle de l’accusateur public :
« Yahvé me fit voir Josué, le grand prêtre, qui se tenait debout devant l’Ange
de Yahvé, tandis que le Satan était debout à sa droite pour l’accuser. L’Ange
de Yahvé dit au Satan : Que Yahvé te réprime, Satan, que Yahvé te réprime,
lui qui a fait choix de Jérusalem. » Tout se passe avec courtoisie, et l’animosité
de l’Ange de Yahvé contre le Satan se borne à réclamer à Yahvé qu’il réprime l’accusateur. Il n’est pas question de le
précipiter dans l’abîme. Ce passage est d’ailleurs éclairé par l’épître de Jude
(IX) : « L’Archange Michel, lorsqu’il plaidait contre le Diable et
discutait au sujet du corps de Moïse, n’osa porter contre lui un jugement
outrageant, mais dit : Que le Seigneur te réprime ! » En somme, tout
le monde « prend des
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