Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
est comme ce qui est en bas, à essayer de les
faire servir, moyennant des compensations, aux volontés humaines. Le pacte avec
le Diable est le corollaire de la lutte contre les Démons.
Quelle que soit sa coloration – bénéfique ou maléfique – le
Démon symbolise une illumination supérieure aux normes habituelles, permettant
de voir plus loin que le réel et plus sûrement que par des méthodes dites
rationnelles, et cela d’une façon irréductible aux arguments scientifiques ou
dits tels. Les démons, en ce sens, passent pour contrôler le domaine du Destin
plus que celui de la Connaissance pure. Et tout cela se retrouve dans la
démonologie chrétienne. D’après le pseudo-Denys l’Aréopagite, les démons sont
des Anges qui ont trahi leur nature, mais qui ne sont mauvais ni par leur
origine, ni par leur essence. En effet, s’ils étaient naturellement mauvais, ils
ne procéderaient pas du Bien, ils ne compteraient pas au rang des êtres, et d’ailleurs,
comment se seraient-ils un jour séparés des bons Anges si leur nature avait été
mauvaise de toute éternité ? La race des démons, toujours selon le
pseudo-Denys, n’est donc pas mauvaise en tant qu’elle se conforme à sa nature
mais bien en tant qu’elle ne s’y conforme pas. On voit que le mythe de la chute
des Anges a fait des ravages sur la pensée philosophique et sur la théologie
chrétiennes.
Car le Diable finit par symboliser toutes les forces qui troublent,
assombrissent et affaiblissent la conscience et la font régresser vers ce qui
est indéterminé et ambigu. Souvent représenté sous forme de bête, il traduit
ainsi la chute de l’Esprit dans la Matière. Sous forme de monstre, il témoigne
du développement anarchique de l’Esprit. En somme, il est la synthèse des
forces désintégrantes de la personnalité. Et pourtant, le fameux pacte avec le
Diable, prouve que le personnage n’est pas seulement destructeur et négateur :
il est capable de procurer la richesse, de construire des bâtiments
indestructibles, comme des ponts, par exemple, selon de nombreux contes
populaires. Et ce ne sont pas toujours des constructions illusoires : la
création ex diabolo est un élément important
de l’inconscient collectif. Le mythe de Faust le prouve : mais peut-être
que Faust n’a pas su tirer parti du pacte qu’il avait conclu avec
Méphistophélès. Car, en définitive, le personnage du Diable, sous quelque nom
qu’il soit évoqué, représente les forces obscures qui sont dans l’Homme et dont
celui-ci ne sait pas toujours se servir. Le fait que, dans les contes
populaires, des héros ou des saints rétablissent l’équilibre rompu par le
Diable, indique que les forces mises en œuvre par le Diable ne sont pas
naturellement mauvaises : il convient seulement de les faire surgir et de
les utiliser à bon escient. La légende de Merlin l’Enchanteur apparaît
révélatrice : fils d’un Diable, l’enchanteur est doué de tous les pouvoirs
qu’on prête aux esprits infernaux. Mais il se sert de ces pouvoirs pour
organiser le monde, autrement dit la société arthurienne, contribue à instaurer
la fameuse Table Ronde, et, par ses révélations, lance les chevaliers
arthuriens dans la Quête du saint Graal. Il est diable dans la mesure où il se jette en travers des habitudes et du ce qui va de soi . Mais, ce faisant, il agit en démiurge.
Combien de contes populaires nous montrent ainsi le Diable venant en aide à un
paysan et, lors du paiement de la dette ; se faire tromper par celui qu’il
croyait tromper ! La sagesse populaire semble vouloir affirmer ainsi qu’il
est toujours possible de faire participer les forces obscures de la conscience à
la vie active à condition de ne pas adopter vis-à-vis d’elle une attitude
passive.
C’est là que le thème de la chute apparaît comme fragile, sur
un plan plus général. La chute des Anges ne serait-elle pas simplement la
réduction des forces obscures à leur rôle négatif ? La méchanceté du Diable ne serait-elle pas seulement l’utilisation
abusive et exclusivement égoïste des puissances profondes de l’inconscient ?
Car le Diable est méchant dans toutes les traditions. Et cette méchanceté n’est pas forcément une
conséquence de la chute : elle résulte davantage d’une tare originelle, c’est-à-dire
d’un manque . Il semble bien que le Mal soit l’absence
de Bien. Un conte populaire de Haute-Bretagne en dit long à ce sujet.
Il s’agit
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