Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
création, considérée comme la victoire d’un
dieu créateur sur les monstres du Chaos originel, autrement dit de la victoire
de l’organisé sur l’inorganisé, de l’intelligence sur les forces brutales et
instinctives de la nature. Et Léviathan apparaît alors sous son autre nom de
Rahab, ce qui veut dire « rageur », désignant de la même façon le
Chaos marin des commencements, quand les « Élohim flottaient sur les Eaux. »
On peut alors considérer, d’après tous les textes mésopotamiens
qui ont servi de modèle à la Genèse , que la
création du monde est bel et bien le résultat d’un affrontement entre Dieu et
le Principe qu’on appelle faute de mieux « Satan ». « C’est toi
(Yahvé) qui fendis Rahab comme un cadavre, dispersas tes adversaires par ton
bras de puissance » ( Psaumes , LXXXIX, II).
« Dieu ne renonce pas à sa colère ; sous lui restent prostrés les
satellites de Rahab » (job, IX, 13). Bien sûr, on peut prétendre qu’il s’agit
d’une allégorie destinée à traduire un événement historique : Rahab a
vraisemblablement désigné la mer Rouge, puis, par extension, l’Égypte tout
entière. Mais, derrière l’Histoire, le mythe reste toujours présent, avec d’autant
plus de force qu’il n’est compris que par certains : « Par sa force, il
a brassé la mer, par son habileté, écrasé Rahab. Son souffle a clarifié les
cieux, sa main transpercé le serpent fuyard » ( Job ,
XXVI, 12). Toujours ce « serpent ». Il est vrai que « c’était le
plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait faits » ( Genèse , III, I). Il est vrai qu’après l’épisode de l’Arbre
de la Connaissance, « Yahvé-Dieu dit au Serpent : Parce que tu as
fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages.
Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.
Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Elle
t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon » ( Genèse , III, 14-15). Voilà des paroles terriblement
lourdes de sens. D’abord, constatons que la punition du Serpent paraît très
douce à côté de celle qui est infligée à Adam et Ève : le Serpent n’est en
effet condamné qu’à ramper. Car l’inimitié entre lui et la Femme est
parfaitement ambiguë : elle (ou son lignage) lui écrasera la tête, mais
lui l’atteindra au talon. Il s’agit d’une sorte de match
nul , et l’on ferait bien d’y réfléchir longuement avant de commenter
comme la victoire de la lumière sur l’ombre les représentations de la Vierge
marchant sur le Serpent, ou encore de saint Michel luttant contre le Dragon. Le
moins qu’on puisse dire, c’est que dans les conditions posées par la Genèse , le triomphe de la Vierge Marie ou de saint
Michel sur le Serpent (ou le Dragon) paraît être une victoire discutable, ou
tout au moins susceptible d’interprétations beaucoup plus hétérodoxes que
celles qui sont généralement présentées.
En tout cas, cet attirail mythologique dont use et abuse la
Bible nous conduit tout droit à l’ Apocalypse , texte
charnière entre le Judaïsme et le Christianisme : « Puis je vis un
Ange descendre du ciel, ayant en main la clef de l’Abîme, ainsi qu’une énorme
chaîne. Il maîtrisa le Dragon, l’antique serpent – c’est le Diable, Satan –, et
l’enchaîna pour mille années. Il le jeta dans l’Abîme, tira sur lui les verrous,
apposa des scellés, afin qu’il cessât de fourvoyer les nations jusqu’à l’achèvement
des mille années. Après quoi, il doit être relâché pour un peu de temps »
(XX, 1-3). On peut se demander pourquoi Satan doit être enchaîné seulement pendant
mille ans, nombre évidemment symbolique. On peut également se demander pourquoi,
après ce délai, Satan doit être relâché. Aurait-il donc une certaine utilité
dans le plan divin ? Satan serait-il, qu’il en soit conscient ou non, un
auxiliaire de Dieu ? Mais à cette partie du conflit succède une autre
phase, qui devient plus épique, plus tragique aussi, donnant une fois pour
toutes à Satan son image de maître des infernaux séjours : « Les
mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s’en ira séduire les nations
des quatre coins de la terre, Gog et Magog (variante : Gog, roi de Magog),
et les rassembler pour la guerre aussi nombreux que le sable de la mer. Ils
montèrent sur toute
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