Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
retrouve à l’intérieur de la religion musulmane.
Michel occupe dans la hiérarchie célestielle une place prépondérante. Un texte
iranien intitulé Livre de l’Ascension céleste ,
de tradition shî’ite, mais pénétré de la pensée d’Avicenne, nous présente l’Archange
dans toute sa splendeur. Le visionnaire qui s’exprime dans ce récit, après
avoir franchi le « lotus de la limite », c’est-à-dire après s’être
libéré des illusions de la matière, traverse une mer immense et débouche dans
une vallée : « En face de la vallée, je vis un Ange en méditation, d’une
majesté, d’une gloire et d’une beauté parfaites. Il m’appela vers lui. M’étant
approché, je lui demandai : Quel est ton nom ? Il me dit : Mikhaël.
Je suis le plus grand des Anges ; quelque difficulté que tu conçoives, interroge-moi ;
tout ce que tu désires, demande-le-moi. » Et plus loin, le visionnaire raconte
comment l’Archange le prend par la main : « Il me fit pénétrer et me
conduisit à travers tant et tant de voiles de lumière que l’univers que je vis
n’avait plus rien de commun avec tout ce que j’avais vu antérieurement dans ce
monde-ci. » [30]
Le thème des « voiles de lumière », bien connu de
la mystique, fait apparaître une fois de plus l’essence lumineuse de Michel. La
représentation qu’on se fait de l’Archange, et qui s’est stabilisée au cours du
Moyen Âge, doit beaucoup à l’Église copte d’Égypte, et par conséquent aux
influences diverses qui ont secoué l’Égypte aux temps hellénistiques, puis dans
les premiers siècles du Christianisme. L’Archange Michel est réellement un de
ces Éons de Lumière de la Gnose, un de ces Éternellement Étants qu’il est parfois bien
difficile de distinguer de Dieu lui-même parce qu’ils en sont de pures émanations.
D’ailleurs, le fait que, dans de nombreux textes, Michel se trouve
triomphalement placé à la droite de Dieu le Père, sur le Trône suprême, oblige
à se poser la question de savoir si Michel n’a pas été délibérément confondu
avec l’Ange Christ, c’est-à-dire avec Jésus le Fils. Dans la problématique de l’Incarnation,
si l’annonciateur Gabriel peut être considéré comme l’Esprit-Saint fécondateur,
le « provocateur », Michel, en tant que le « plus brillant »,
en tant que « prince », en tant que « conducteur des Ames »,
est nécessairement dans le rôle du Fils. Et si le Concile de Nicée a écarté la
notion de Christ-Ange, c’est peut-être pour éviter de faire de Michel le fils de Dieu , titre que pourtant de nombreux récits
postérieurs lui confèrent : cela comportait un risque de doubler ainsi la
figure christique, alors que les discussions théologiques à propos du dogme de
la Trinité étaient loin d’être claires. Et puis, après tout, les réticences de
saint Paul, véritable fondateur et théoricien du Christianisme, à propos des
Anges et du culte qu’on pouvait leur rendre, restaient toujours présentes dans
les esprits. Il valait mieux séparer les choses et laisser l’angélologie dans
les sphères marginales de la spéculation et du culte populaire, ce qui ne
risquait aucunement de nuire à un dogme solide, du moins dans la pensée de ceux
qui le proposaient.
En réalité, les Pères de l’Église ont parfaitement senti le
danger que représentait le culte des Anges, celui de « saint » Michel
en particulier. À force de donner à Michel son visage lumineux, on en faisait
une vision, certes chrétienne, mais légèrement suspecte, du dieu Mithra dont la
religion, concurrente du Christianisme, a failli, c’est une certitude
historique, l’emporter sur la religion de Jésus sur toute l’étendue de l’Empire
romain. N’oublions pas que Mithra est le Sol Invictus ,
le « Soleil invaincu », celui qui se couche – et meurt – le soir, pour
renaître le matin, plus triomphant que jamais. Et derrière Mithra, se profilait
Osiris, le soleil couchant, démembré par Seth, mais renaissant quand même sous
l’aspect d’Horus, le jeune soleil, grâce à l’action – et à la parturition – de
la « Vierge des Vierges » Isis, visage égyptien de la Déesse-Mère des
commencements, et dont le mythe n’a pas été sans influence sur la constitution
du personnage de Marie, mère de Jésus. De plus, Mithra était né un 25 décembre,
dans une grotte, du sein même de la Terre, c’est-à-dire de la Déesse-Mère.
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