Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
du
Monte-Gargano, au VI e siècle : or, le
Monte-Gargano, éperon rocheux qui domine l’Adriatique, est un antique sanctuaire
dédié à un géant de la mythologie celtique dans lequel il n’est pas difficile
de reconnaître le Gargantua populaire qu’a su si bien récupérer Rabelais. Le Gargant de la tradition occidentale, qui, étymologiquement,
est le géant « à la cuisse courbe », c’est-à-dire boiteux [33] ,
personnage ambigu en lequel se mêlent précisément l’aspect destructeur de
monstres (qui est celui de Gargantua) et l’aspect monstrueux lui-même : il
est à la fois saint Michel et le Dragon.
Enfin, un élément révèle la concordance entre le culte de
saint Michel et un ancien culte celtique : la plupart des grands
sanctuaires dédiés à saint Michel étaient des « monts Mercure » (comme
Saint-Michel-Mont-Mercure en Vendée), ce qui indique fatalement que la
succession allait de soi pour ceux qui opérèrent la substitution des
personnages.
Mais il ne s’agit pas du Mercure latin, équivalent de l’Hermès
grec, encore que l’analogie soit évidente à propos des ailes que porte le dieu
gréco-romain en tant que « messager des Dieux » c’est-à-dire angelos . Il s’agit du Mercure gaulois sur lequel César,
dans ses Commentaires , attire l’attention, faisant
de ce dieu le plus important de toute la Gaule et le plus fréquemment représenté,
ne fût-ce que sous forme de pilier ou de bloc de pierre [34] .
Or, ce Mercure gaulois n’est autre que le Lug des épopées
mythologiques irlandaises, divinité qui a été, parfois sous différents noms, honorée
sur tout le territoire des Celtes, et qu’on retrouve abondamment dans la
toponymie, puisque Lyon, Laon, Loudun, entre autres, sont des Lugdunum , c’est-à-dire des « forteresses de Lug ».
La grande particularité de Lug, c’est qu’il est, dans le cadre indo-européen
qui privilégie la tripartition selon des critères sociaux, un dieu hors fonction : il n’est pas le chef ou le roi
des Dieux, il n’appartient même pas à leur « état-major », mais il
vient se greffer sur les dieux traditionnels après avoir fait la preuve qu’il
était le « Multiple-Artisan », qu’il détenait en lui-même tous les « arts »,
c’est-à-dire toutes les fonctions sociales attribuées à la divinité.
L’apparition de Lug dans la mythologie celtique coïncide
avec l’épreuve à laquelle sont confrontés les dieux Tuatha Dé Danann, autrement
dit les « Tribus de la Déesse Dana » d’essence nettement
indo-européenne, en face des Fomoré, peuple mystérieux de géants plus ou moins
maritimes, et qui représentent les puissances obscures du Chaos originel. Dans
une première bataille, les Tuatha Dé Danann avaient été vainqueurs des Fîr Bolg (Hommes-Foudre) qui étaient les possesseurs
de l’Irlande, avec l’aide des Fomoré. Mais les Fomoré avaient fait payer très
cher cette victoire aux Tuatha Dé Danann, les réduisant presque à l’esclavage, d’où
la révolte des Dieux et leurs préparatifs guerriers pour éliminer le peuple
maudit facteur de désordre et de tyrannie. À peu de chose près, on retrouve le
combat de Zeus contre les Titans, et, il faut bien le dire, le « drame
dans le ciel » dont il est question à propos de la Chute des Anges et de l’intervention
de saint Michel à la tête des milices de Dieu. Les Tuatha Dé Danann sont donc
au pied du mur : ils doivent lutter contre les forces chaotiques du « Dragon ».
Mais en ont-ils vraiment les moyens ? C’est alors qu’intervient Lug.
Mais Lug a ceci de particulier, c’est qu’il est à la fois l’un
des Tuatha Dé Danann et l’un des Fomoré. Son père appartenait à la race des
Dieux, mais sa mère à la race des Fomoré, et son grand-père maternel est
précisément l’un des chefs des Fomoré, le géant Balor à l’œil pernicieux , qui foudroie ses ennemis dès que
la paupière de son unique œil flamboyant s’ouvre
et qu’il regarde ses victimes. L’analogie avec le Dragon n’est pas douteuse. C’est
d’ailleurs contre Balor que Lug va lutter, au cours de la bataille, et c’est d’une
balle de fronde que le petit-fils, revêtu des couleurs symboliques de la
lumière céleste, va crever l’œil pernicieux du grand-père, et éteindre ainsi le
feu tellurique dont celui-ci est l’image évidente. Lug est saint Michel, Balor est le Dragon. Mais la victoire de Lug sur Balor est ambiguë : c’est
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