Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
Commencements)
au lieu de le rechercher dans l’essence théologique d’un Dieu-Père. Lancelot
étant un personnage mythologique ou sacré absolument incontournable, il fallait
bien lui trouver un prolongement qui fût débarrassé de toute connotation
sulfureuse. Et de faire de Lancelot, à la fin de sa vie, un ermite ou un moine
qui paie, par la prière et le repentir, les fautes de sa jeunesse.
C’est oublier que Lancelot du Lac est avant tout un héros brillant , au propre comme au figuré. C’est oublier
que toute l’action de Lancelot consiste à mettre en œuvre l’énergie potentielle
représentée par le roi Arthur afin de débarrasser le monde de tous ses monstres
obscurs et maintenir ainsi l’équilibre fragile de l’univers arthurien. Sans
Lancelot, et le récit de la Mort le roi Artu le montre fort bien, la société arthurienne, société idéale s’il en fût, et à l’image
d’un monde divin, s’écroule sous le poids des puissances obscures. Et pourtant,
Lancelot n’appartient pas à la société arthurienne. C’est un étranger, un
marginal, comme Lug et Cûchulainn. Il occupe une place privilégiée parce qu’on
reconnaît qu’il est le meilleur chevalier du monde. Il est, comme Lug, un
Multiple-Artisan, et aussi celui qui sait manier l’épée et la lance pour
assurer le triomphe de la Lumière. Il combat des géants, il terrasse des
dragons, il délivre des prisonniers voués aux démons de l’illusion ou du
fantasme. Il mène les armées royales à la victoire sur les fauteurs de troubles,
sur les diverses incarnations du Chaos anarchique et démesuré. À côté du roi Arthur,
pivot essentiel de la société idéale, mais contraint, par sa fonction créatrice,
à demeurer statique, Lancelot représente l’agent exécuteur de l’énergie divine.
Cela ne peut être nié [38] . Le personnage mythologique,
puis littéraire, de Lancelot du Lac est un aspect historicisé et profane de l’entité
angélique Michel, lequel met en œuvre l’énergie divine pour assurer l’équilibre
du monde.
Au reste, le nom – ou plutôt le surnom – de Lancelot du Lac
paraît bien être la transcription maladroite d’un original en breton que
représente probablement le Gallois Llwch Llawmynawg, qu’on trouve dans une
liste de guerriers cités au cours du premier récit littéraire sur le roi Arthur.
Or Llwch Llawmynawg signifie littéralement « Lac Main Généreuse », ce
qui fait penser à Lug Lamfada (« Lug à la Longue Main »), et la
confusion homophonique du deuxième terme aurait très bien pu conduire à la
formation de « Lancelot », le mot français lance se substituant au mot celtique lam ou llaw (« main »). Symboliquement, la lance
(comme l’épée) est le prolongement de la main. C’est la main lumineuse, longue , qui devient la lance. Et saint Michel, ne l’oublions
pas, poursuit le Dragon avec une épée et une lance : il est la main de
Dieu traquant les puissances ténébreuses et maléfiques.
Mais Lancelot n’est qu’un surnom. On nous apprend que son
véritable nom est Galaad (lequel sera donné plus tard à son fils). La référence
semble incontestablement biblique, et elle l’est sans aucun doute dans la
pensée des écrivains du XIII e siècle qui l’ont
mise en avant. Cela ne dispense pas de penser à un double sens du terme, les
auteurs du Moyen Âge étant coutumiers de ce genre de choses, allant parfois
même jusqu’à des jeux de mots des plus primaires. Car, si on examine attentivement
le nom de Galaad, en ne niant aucunement son aspect hébraïque, on peut s’apercevoir
qu’il est également celtique. Il provient en effet de la racine gal ou galu , attestée
dans les langues brittoniques, et signifiant à la fois « fort » et « étranger ».
C’est de là que s’est formé le mot latin Galli et sa variante grecque Galatoi , qui ont donné « Gaulois »
et « Galates ». Si le nom de Galaad est vraiment celtique, il a donc
le sens de Puissant , épithète qui convient
fort bien au caractère de Lancelot du Lac. Et c’est aussi une épithète qui
convient parfaitement à l’image qu’on propose de saint Michel.
Par ailleurs, si on procède à une analyse, à travers les
textes du XIII e siècle sous influence
clunisienne, puis cistercienne, textes qui utilisent largement la tradition de
l’Évangile de Nicodème à propos du saint Graal, on est amené à de curieuses constatations.
On s’aperçoit ainsi que
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