Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
autour du Mont-Saint-Michel, un foyer de spiritualité
particulièrement important.
Mais c’est en 708 que saint Michel va vraiment faire son apparition
dans ce foyer de spiritualité et y mettre son empreinte désormais ineffaçable. L’artisan
de cet essor du culte michaélique sera l’évêque d’Avranches, un Franc du nom d’Aubert.
D’après un manuscrit composé vers 850 et intitulé Revelatio
ecclesiae sancti Michaelis , regroupant diverses traditions orales, le
saint homme Aubert aurait eu, en songe, la vision de saint Michel. L’Archange
lui aurait demandé – selon un processus bien connu dans ce genre d’affaire – de
faire construire, sur le Mont-Tombe, un sanctuaire qui lui serait consacré. Aubert,
au sortir de son sommeil, est bouleversé par sa vision, mais il doute encore de
la réalité de l’apparition. Le songe se reproduit la nuit suivante, mais Aubert
est toujours aussi dubitatif. Alors, la troisième nuit, l’Archange lui apparaît
une nouvelle fois et lui ordonne de lui obéir en lui posant son doigt sur la
tempe. La tradition rapporte que le front d’Aubert portera, jusqu’à sa mort, la
marque brûlante du doigt angélique : un trou dans l’os temporal. Il est
bien certain que cette légende offre quelque rapport avec ce qu’on appelle l’ éveil , ou l’ illumination ,
dans les doctrines orientales : le geste de trouer la tête du bienheureux
signifie réveiller le chakra de la tête, c’est-à-dire
le plus haut degré de la connaissance et de la sagesse, permettant à la kundalini , c’est-à-dire à l’énergie humaine, mais d’essence
divine féminine habituellement lovée dans les parties sexuelles, de se dérouler
et d’accomplir sa lente maturation vers le point de rencontre avec l’énergie
divine masculine, point de rencontre absolu situé dans la tête. La légende est
donc loin d’être absurde, car elle traduit en images concrètes le cheminement
spirituel d’Aubert, ses hésitations et enfin son « illumination ». Concernant
l’Archange de Lumière, une telle « illumination » s’impose d’emblée.
Mais dans son rêve initiatique, Aubert a appris qu’il devra
construire le sanctuaire à un endroit où le sol serait piétiné par un taureau
furieux. Aubert, venu au Mont-Tombe avec quelques compagnons, recherche l’endroit
qui correspond à son rêve, et il finit par découvrir, vers le sommet, une
plate-forme piétinée par un taureau qui se trouvait là, mystérieusement entravé.
Dès qu’il fut libéré, le taureau s’enfuit dans la forêt. Et c’est à cet endroit
qu’Aubert décida de construire le sanctuaire demandé par saint Michel.
Il est bien évident que tout cela est du domaine de la fable.
La fondation des villes ou des sanctuaires est très souvent provoquée par la
présence ou l’intervention miraculeuse d’un animal en lequel on voit un
messager de Dieu ou des Dieux. C’est un des lieux communs de l’Histoire des Religions.
Mais, en l’occurrence, l’épisode acquiert une importance très particulière. D’abord,
il répète, de façon analogique, ce qui s’est passé au Monte-Gargano, dans les
Pouilles : là-bas aussi, il y avait un taureau. Tout cela nous ramène au
culte de Mithra : au Mont-Saint-Michel aussi, le culte de l’Archange se
substitue à celui du dieu-héros de lumière. D’ailleurs, dans tout le pays de
Dol et de Saint-Malo, les vestiges mithraïques ne manquent pas, et l’on y a
découvert de nombreux autels tauroboliques, des tables de pierre percées à
travers lesquelles coulait le sang du taureau sacrifié sur les fidèles qui
recevaient ainsi la puissance instinctive et tellurique de l’animal dompté et « récupéré »
par le dieu céleste. Il faudrait aussi se souvenir que le héros irlandais
Cûchulainn (donc Lug le Lumineux) accomplit ses plus grands exploits au cours
de la Razzia des Bœufs de Cualngé , guerre impitoyable
entre l’Ulster et les autres royaumes d’Irlande pour la possession d’un taureau
divin. Tout se recoupe dans l’élaboration du culte de saint Michel, l’Archange
qui combat le Dragon pour en récupérer les forces
profondes et mystérieuses et les répandre sur le peuple chrétien.
Ainsi, sous l’impulsion de saint Aubert, le
Mont-Saint-Michel va devenir le haut lieu du culte michaélique. Le mérite de l’évêque
d’Avranches a été de comprendre qu’on ne pouvait pas extirper des croyances
populaires les dévotions fondamentales à une
Weitere Kostenlose Bücher