Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
quelle
base, au Moyen Âge, on s’efforçait de calculer la hauteur d’une colline ou d’un
monument.
Cela dit, en 1775, des géomètres plus ou moins qualifiés mesurèrent
le Mont et lui trouvèrent une hauteur de 385 pieds, c’est-à-dire de 125,43 mètres,
de la base du roc à l’extrémité de la lanterne. Et, pendant tout le XIX e siècle, suivant diverses estimations, les
chiffres variaient de 100 mètres à 188 mètres. C’est dire combien le
Mont-Saint-Michel est « insaisissable » aussi bien dans ses
mensurations que dans sa mystérieuse intimité.
En réalité, des calculs plus récents permettent de préciser
des chiffres, à partir d’une base qui est le niveau moyen de la mer. Jusqu’au
seuil de l’abbatiale, qui correspond au sommet de la butte naturelle, il y a 78,60 mètres.
De ce seuil au niveau supérieur de la tour neuve, il y a 34,70 mètres. De
ce niveau, qui est la base de la flèche, jusqu’au sommet de la plate-forme qui
porte la statue de saint Michel, on trouve 39,80 mètres. Quant à la statue,
du socle à la pointe de l’épée, elle mesure quatre mètres. Cela donne par
conséquent une hauteur de 157 mètres.
Est-ce vraiment la hauteur exacte du Mont ? Croyons-le.
Ici, la science se manifeste par des alternances de zones d’ombre et de lumière.
Tout se passe comme si le Mont-Saint-Michel voulait préserver jalousement son
mystère et interdire à jamais que des intrus puissent en dérober les secrets. Une
tradition qu’on fait remonter au XI e siècle
est parfaitement révélatrice de cette tendance.
Anciennement, personne n’osait en effet pénétrer la nuit
dans l’église abbatiale. Le frère portier lui-même, après avoir fermé
soigneusement les portes, à la tombée de la nuit, n’aurait jamais eu l’audace
de les rouvrir avant d’avoir sonné matines. Cette coutume s’appuyait sur une
croyance dûment établie : aucun être humain n’aurait pu contempler les
Anges qui, la nuit venue, envahissaient l’église et la remplissaient d’une
clarté plus vive que celle du soleil, tout en chantant des hymnes dont l’écho
harmonieux se répercutait dans tout le monastère. Sans doute le vent qui s’introduisait
par les moindres fentes était-il pour quelque chose dans la beauté angélique de
ces hymnes, mais après tout les Anges de Lumière se font connaître des hommes
et communiquent avec eux par le biais des choses concrètes : on sait bien
que le vent porte au loin la parole céleste et les chants de la nouvelle aurore,
quelque part de l’autre côté du monde. De toute façon, le plus simple respect
consistait à ne pas troubler les Anges qui accomplissaient ainsi, dans le plus
grand secret, les liturgies de la présence divine.
Or, à ce qu’on raconte, un homme nommé Colibert osa railler
cette croyance, et prétendit qu’il serait bien capable de demeurer dans l’église
une nuit entière et d’y examiner tout ce qui se passerait. Il obtint l’autorisation
d’y être enfermé pendant une nuit. Comme il ne s’agissait pas pour lui de
commettre un sacrilège, mais seulement de raisonner ,
il se prépara à cette épreuve. Il jeûna pendant trois jours, se confessa et
lava soigneusement son corps, et, à la tombée de la nuit, il se cacha dans un
recoin de l’abbatiale.
Mais, sur le coup de minuit, voici Colibert en proie à d’horribles
visions : il tombe sur les dalles de pierre, glacé d’effroi, mais n’ayant
pas perdu l’usage de ses yeux et de ses oreilles. Il voit toute l’église
resplendir d’une lumière étonnante, et, soudain, saint Michel, en compagnie de
la Vierge Marie et de saint Pierre, le gardien du Paradis, fait son apparition
dans la nef. Frappé d’épouvante, il entend saint Michel se plaindre à la Vierge
et à saint Pierre de ce qu’il sent dans l’église une très puante odeur, comme
celle d’un cadavre. Et il voit l’Archange s’approcher de lui avec un regard
terrible. Il veut fuir, mais où ? les portes sont fermées. La Vierge et l’apôtre
Pierre, voyant la colère de l’Archange, ont pitié de sa terreur, et ils
intercèdent auprès de saint Michel pour qu’il fasse grâce à cet homme seulement
coupable de curiosité présomptueuse. Mais l’Archange refuse tout net, disant qu’une
telle injure, faite aussi bien à tous les esprits célestes qu’à lui-même, ne
peut demeurer impunie. La Vierge supplie alors l’Archange de donner au moins à
cet homme le temps de faire
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