Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
récupéré à cet effet les bâtiments conventuels,
n’a pas été aussi élevé qu’on l’a prétendu.
En dehors des fameux prisonniers politiques du XIX e siècle qui se sont signalés soit par leur
présence permanente dans des prisons, soit par leurs tentatives d’évasion, il
est un cas qui a retenu l’attention des commentateurs : c’est celui de
Dijols de la Cassagne, plus connu sous le nom de Dubourg. La légende le
présente comme étant un honnête et vertueux publiciste hollandais, enfermé par
ordre de Louis XIV pendant plus de vingt-cinq ans et qui y serait mort
dévoré par les rats. La légende en fait une histoire sinistre, mais, en réalité,
ce soi-disant Hollandais était français, n’était pas protestant, mais
catholique, était un traître à la solde de l’Allemagne, ne fut pas victime de
Louis XIV puisqu’il naquit en 1715, l’année même de la mort du Roi-Soleil,
ne fut enfermé que 368 jours, et mourut d’inanition parce qu’il avait résolu de
faire la grève de la faim.
Un autre personnage incarcéré au Mont a fait couler beaucoup
d’encre, et l’on y a même vu le fameux « Masque de Fer », lequel, comme
on le sait maintenant, n’a jamais existé que dans l’imagination d’Alexandre
Dumas, sur une idée de Voltaire. Il n’en reste pas moins vrai qu’un mystérieux
prisonnier a résidé au Mont de 1707 à 1709, et que le mystère qui l’a longtemps
entouré a pu très facilement alimenter la légende du Masque de Fer.
On connaît maintenant l’identité de ce personnage. Il s’agit
d’un certain Avedick, qui était patriarche d’Arménie. Né à Tocate, vers 1646, Avedick,
qui s’était consacré à l’étude des doctrines de l’église arménienne, s’était
répandu en propos d’une extrême violence contre le roi Louis XIV. L’ambassadeur
du roi à Constantinople avait réussi, à force d’intrigues, à faire déposer le
patriarche, mais en plus il le fit enlever de l’île de Chio et débarquer en
France. On l’enferma au Mont-Saint-Michel, au secret, et sous un régime très
rigoureux. Cependant, on s’efforça de le convertir au catholicisme. On eut bien
du mal à trouver un religieux qui parlait l’arabe, mais il y en eut un qui se
chargea de catéchiser le patriarche d’Arménie. Et, en 1709, Avedick fut
transféré à la Bastille. Il abjura son ancienne religion en 1710 devant le
cardinal de Noailles et recouvra immédiatement sa liberté. Mais il mourut l’année
suivante, officiellement « par suite de l’usage immodéré de l’eau-de-vie »,
ce qui veut dire que son décès fait partie de ces morts inexplicables, mais
très utiles, dont l’Histoire offre de fréquents exemples. Qui était-il exactement ?
On ne le saura jamais.
On a beaucoup brodé sur la « Bastille des Mers ». Il
est d’ailleurs dommage qu’Alexandre Dumas n’ait pas situé au Mont-Saint-Michel
la cellule de l’abbé Faria : de nos jours, on la visiterait avec autant de
respect et de dévotion que celle de l’île Sainte-Marguerite. Et on oublie
peut-être que les premiers habitants du Mont ont été des solitaires, des
ermites qui choisissaient ce lieu comme une prison volontaire. Et que dire de
cet ermite des temps modernes, ce fameux « marquis de Tombelaine », sur
le dos duquel les journalistes ont brossé des légendes, ce Jean de Tombelaine,
qui s’appelait simplement Jean Déluge, mais qui aimait guider les touristes à
travers les sables du Mont en racontant des histoires invraisemblables, moyennant
un modeste pourboire ? Là encore, la tradition est respectée, y compris
celle des sables mouvants, puisque le « marquis » de Tombelaine se
noya accidentellement, un soir de décembre 1892, entre le Mont et la côte bretonne.
Mais ce sont des figures comme celle de ce pittoresque personnage
qui ajoutent encore aux mystères de ce Mont-Saint-Michel au Péril de la Mer, cette
« citadelle des brumes », cette « Merveille de l’Occident »,
ce Mont-Tombe dont certains disent encore qu’aux époques païennes officiaient
des prêtresses qui n’avaient rien de repoussant et qui se chargeaient de
montrer le bon chemin aux jeunes gens qui s’égaraient
dans leurs sombres retraites.
Ombre et Lumière : ces deux mots résument admirablement
le Mont-Saint-Michel. À la liturgie céleste en l’honneur de l’Archange Michel
répondent des liturgies plus ambiguës, plus secrètes, plus ombreuses. C’est qu’il
est impossible
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