Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
terre ». Alors, « le
Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l’enfant mâle. Mais elle
reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu’au refuge où, loin
du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d’un
temps. Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d’eau pour l’entraîner
dans ses flots. Mais la terre vint au secours de la Femme : ouvrant sa
bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon. Alors, furieux
contre la Femme, le Dragon s’en alla guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux
qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus. »
Si l’on comprend bien, le Dragon, qui est tantôt Satan, tantôt
une entité différente et indépendante, est non seulement une puissance céleste
(il vole, il a des ailes, puisqu’il est un Ange), mais également une puissance
terrestre de caractère aquatique : il ne vomit pas seulement du feu, mais
également de l’eau. C’est l’indication que le Dragon, au lieu de représenter
bêtement le Mal métaphysique, symbolise davantage une puissance créatrice, ou
plutôt démiurgique, mais considérée sous son aspect le plus primitif, le plus
instinctif, le moins élaboré, bref une puissance créatrice à l’état brut, et
que seule l’intervention de Michel peut contraindre. Mais cela n’explique
nullement l’acharnement du Dragon contre la Femme, surtout après que son enfant
a été ravi au ciel : il semble que ce soit réellement contre la Femme et non
contre l’Enfant que le Dragon veuille lutter. Et l’on a beau prétendre que la Femme
représente l’Église, cela ne justifie aucunement les détails divers du texte de
l’ Apocalypse , pas plus d’ailleurs que, dans le
chapitre suivant, le personnage de la Bête, identifiée parfois comme étant l’empereur
Néron. À force de faire de l’Histoire à n’importe quel prix, on se heurte à des
incohérences : un texte visionnaire comme l’ Apocalypse ,
qui signifie d’ailleurs « révélation », doit être interprété à de multiples
degrés. Certes, Néron a pu incarner la Bête, mais pour nous, qui le voyons avec
du recul. Et quant à la différenciation faite entre Satan et le Dragon, elle
vient à point pour signifier que le Principe symbolisé par le Dragon peut
parfaitement apparaître sous d’autres formes ou sous d’autres noms selon les
circonstances considérées et selon le sens précis et momentané qu’on prétend
lui donner. Le Dragon n’est pas forcément Satan : il ne l’est que dans la
mesure où l’on interprète son activité comme négative par rapport à une
polarité positive que détient l’ Autre , en l’occurrence,
dans le texte de l’ Apocalypse , l’Archange
Michel. Mais pour ce qui est de la Femme, la polarité du Dragon paraît beaucoup
plus ambivalente, à vrai dire aussi ambivalente que la polarité de la Femme
elle-même. Donc, en valeur absolue, le Dragon n’est ni bon ni mauvais : il est .
C’est pourquoi il importe de rechercher, à travers les différents
récits mythologiques qui nous sont parvenus à son sujet, les aspects et les
caractéristiques qui peuvent lui être attribués selon les époques et les
contextes socioculturels.
En Extrême-Orient, le Dragon, qui fait partie du quotidien
en ce sens qu’il est vécu dans la mémoire populaire, présente bien des faces
divergentes selon qu’il est aquatique, terrestre – et parfois souterrain – et
céleste à la fois. C’est dire qu’il s’agit d’un symbole unique, celui du
principe actif et démiurgique : il concrétise le concept de puissance de
vie de la manifestation, il crache les eaux primordiales (comme dans l’ Apocalypse ) ou l’Œuf du Monde (comme chez les Celtes,
à propos de l’Œuf de Serpent), ce qui en fait une image évidente du Verbe créateur . Il peut signifier la nuée qui va
déverser des flots fertilisants, ou, lorsqu’il est souterrain, le feu qui couve
dans les entrailles du monde et qui ne demande qu’à surgir pour provoquer l’activité
humaine (l’art du Forgeron). Dans la tradition indienne, le Dragon s’identifie
à Agni. Le Dragon produit le soma , c’est-à-dire
le breuvage d’immortalité. Pour la pensée chinoise, le Dragon représente la
résolution des contraires, et il sert de symbole à l’Empereur, puisqu’il
enferme en lui toutes les fonctions royales : la
face du Dragon est à proprement parler le
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