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Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Titel: Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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de concevoir saint Michel sans le Dragon des profondeurs avec
lequel il engage un jeu dramatique qui n’aura jamais de fin.

II

LE DRAGON DES PROFONDEURS
    Le Dragon apparaît dans les traditions universelles comme le
signe le plus extraordinaire qui soit de la force terrifiante enfermée au sein
de la terre. Animal fabuleux, il prend modèle sur le serpent dont il exagère
les formes, mais avec lequel il est souvent confondu. Il fait partie intégrante
de l’imaginaire humain depuis les plus lointaines époques où l’être pensant s’est
réveillé de sa primitive inconscience pour nommer le Bien et le Mal. Il résume
en lui tous les fantasmes et toutes les pulsions de l’être, toutes les terreurs
dont la mémoire a gardé la douloureuse cicatrice, toutes les ambiguïtés de l’existence
qui se déroule, de façon aveugle, entre des obstacles qu’on ne peut franchir qu’en
les contournant.
    Certes, ici, deux écoles de pensée sont confrontées, et de
façon, semble-t-il, irréductible. D’autre part, les rationalistes prétendent, avec
quelque bon sens, que l’image terrifiante du dragon est la réminiscence de
cette terreur ancestrale inspirée par des monstres antédiluviens comme les
brontosaures ou les paléontosaures, et surtout ceux qu’on appelle les
tyrannosaures. Ces grands reptiles des temps primordiaux ont dû effectivement
exercer une action en profondeur sur l’imaginaire humain, et, dans ces
conditions, il n’est pas étonnant de les retrouver, presque intacts, dans les
bas-fonds de l’inconscient, prêts à prendre les formes ondoyantes et
hallucinantes que l’on sait. L’allure reptilienne est incontestable dans toutes
les descriptions et dans toutes les représentations des dragons, en Orient
comme en Occident. Mais ce sont des reptiles munis de pattes qui, elles aussi, prennent
des dimensions monstrueuses. Quant à la tête, elle en arrive à détenir toutes
les puissances de destruction qu’on attribue à l’animal : les yeux qui
découvrent la proie finissent par lancer des éclairs, la langue devient
elle-même un jet de flammes, l’haleine est empoisonnée, et les dents broient, déchirent
et dévorent. L’instinct brutal, la lutte pour la vie, la violence, tout cela
est cristallisé dans l’image de la bête préhistorique devenue objet
fanstasmatique.
    Mais, d’autre part, les tenants d’un système de valeurs plus
philosophique, et aussi plus théologique, pensent que l’image du Dragon est le
résultat d’une lente élaboration, d’une construction entièrement intellectuelle,
destinée à représenter de façon concrète tout ce qu’il ne faut pas faire, c’est-à-dire
le Mal, la Laideur, l’Obscurité. Plus qu’un objet fantasmatique, le Dragon est
alors un support de catharsis qui permet à l’être humain d’extirper de sa
conscience ces pulsions maléfiques qui l’obsèdent et l’encombrent. Peu importe
alors que le Dragon revête telle ou telle forme : il n’est qu’un
repoussoir, et ce n’est que par pure métaphore qu’il est représenté le plus
souvent sous une allure reptilienne. En bref, ce sont des pensées abstraites
qui se concrétisent dans l’image du Dragon, tandis que pour l’école
rationaliste ce sont des formes concrètes mémorisées et cependant déformées qui
provoquent le fantasme.
    Il est bien difficile de savoir qui a tort ou raison dans
cette double interprétation. On ne peut nier que l’image de la bête féroce ait
pu déclencher des cauchemars répercutés de génération en génération, même sans
remonter aux époques antédiluviennes : les luttes avec l’ours, avec le
loup, avec les grands fauves, ont constitué des réalités quotidiennes, et il en
est resté des traces douloureuses dans la mémoire humaine. Mais il est non
moins vrai que les angoisses métaphysiques de l’humanité aient pu en quelque
sorte se matérialiser sur d’authentiques images de la mémoire ancestrale, quitte
à les dévier de leur signification originelle et à en faire les supports
symboliques de l’affrontement permanent qui règne dans le monde entre des forces
apparemment contradictoires. Car, en définitive, c’est bien de cela qu’il s’agit :
le Dragon n’existe pas sans celui qui vient lutter contre lui, soit qu’il sorte
lui-même de son antre pour provoquer le « dieu », soit que ce « dieu »
s’introduise dans la caverne profonde et se fasse attaquer par le monstre. Autrement
dit, le Dragon n’existe

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