Le mouton noir
le départ des derniers navires. On pourra alors insister en leur disant que câest la dernière chance quâils auront de sâen procurer pour lâannée qui vient.
Tout heureux de recevoir enfin leur remède miracle, les habitants qui avaient déjà versé quatre livres en acompte sâempressaient de remettre les quatre livres restantes. De la sorte, comme sâen vanta Bréard, les trois cents pintes lui rapportaient cent cinquante livres nettes puisquâelles lui revenaient à trois livres et demie la pinte:
â En plus, elles ont fait des petits.
Clément nây comprenait plus rien. Il demanda:
â Comment ont-elles pu faire des petits?
â Si Jésus-Christ changeait lâeau en vin, moi, René Bréard, je la change en rhum!
Clément saisit tout à coup. Se rappelant quâils nâavaient acheté quâune barrique, il comprit ce que signifiait lâexistence de la deuxième: les trois cents pintes supplémentaires obtenues de la sorte ne coûtaient pas un sou et rapportaient mille deux cents livres, sans quâon en trouve la trace dans leurs registres. Vraiment, ce Bréard était un homme très ruséâ¦
Chapitre 9
Gros-Jean comme devant, mais en pire
Lâassociation de Clément avec Bréard se poursuivait, mais Clément nâavait pas encore gagné un sol. Lorsquâil décida de sâinformer du moment auquel il toucherait les premiers émoluments pour son travail, la réponse du marchand fut évasive:
â Bientôt! Pour lors, toute ma fortune est investie dans lâachat des fourrures que je dois livrer au chapelier lâautomne prochain.
â Est-ce à dire que je devrai attendre à lâan prochain avant dâobtenir les fruits de notre association?
â De quoi te plains-tu? Tu manges à ta faim, tu es bien logé, tu voyages, tu apprends, que veux-tu de plus?
â Un salaire pour mon travail. Je nâai jamais un sou. Je dois vous quémander chaque denier. Ce nâest pas une vie intéressante. Une vraie association ne fonctionne pas comme ça.
â Sois patient, ça viendra. Après tout, ce sont mes sous qui ont rendu tout ça possible, lâaurais-tu oublié? Tu nâavais pas un sol vaillant quand tu mâas rencontré.
â Oui, mais, depuis, combien dâheures ai-je consacré à notre association?
Pour lâapaiser, le marchand délia sa bourse et lui donna cinq livres.
â Pour tes dépenses personnelles, dit-il. Tu me sembles fatigué. Aussi, jâirai seul faire le négoce des fourrures.
Le lendemain, Clément eut beau le chercher, Bréard sâétait envolé de Québec. Il ne le revit que deux semaines plus tard, de retour de voyage et fort satisfait du marché quâil venait de conclure.
â Nous aurons nos fourrures avant le départ des derniers vaisseaux pour la France. Nous monterons sur lâun dâeux et nous serons pour ainsi dire assis sur notre fortune, puisque les centaines de peaux de castor que nous apporterons dormiront dans la cale.
â Que dites-vous là ? Vous expédierez toutes ces peaux par le même vaisseau?
â Troisième leçon, jeune homme: âIl est préférable, en certaines circonstances et pour dâexcellentes raisons, de ne pas trop disperser ses avoirs. Il vaut mieux parfois prendre des risques que de ne rien faire.â
â Que voulez-vous dire au juste?
Tout ce quâil obtint fut la réponse suivante:
â Je tâexpliquerai en temps et lieu.
Alors quâil se préparait de nouveau à passer en France en compagnie de Bréard, lâattention de Clément fut attirée par une ordonnance affichée à la porte du moulin du Mont-Carmel.
Une lettre du ministre nous informant quâil se commet de plus en plus de fraudes concernant le commerce des fourrures, nous, intendant de la Nouvelle-France, avisons tous ceux chez qui seront trouvés des castors non déclarés, ou qui tenteront dâen passer en fraude, quâils seront sévèrement punis pour leurs actions. Lâamende minimale sera de mille livres tournois et pourra sâélever à beaucoup plus selon la gravité de la faute.
Cette ordonnance ne manqua pas dâinquiéter au plus haut point Clément, qui sâempressa dâen parler
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