Le nazisme en questions
étatique renforcé, au nom du réarmement et de l’économie militaire. Les célébrations du 1 er mai, où patrons et salariés défilaient côte à côte, se voulaient l’expression de l’abolition de l’opposition capital-travail. La terminologie du régime entretenait cette fiction : tous les Allemands se trouvaient désormais unis au service de la « Communauté du peuple » ( Volksgemeinschaft ).
Or, ce sont les salariés qui firent les frais d’un système économique régi par les nécessités de la guerre, même si l’introduction du livret de travail et les innombrables formes de travail obligatoire ne parvinrent pas à réduire complètement leur mobilité. L’élaboration de nouvelles conventions collectives avec la participation du DINTA (Deutsches Institut für technische Arbeitsschulung, « Institut de recherche sur le travail », créé initialement par le patronat allemand en 1926) qui avait été placé sous l’autorité du Front du Travail, ainsi que le renforcement de la discipline intérieure des établissements et de la contrainte du travail – en cas de besoin, on recourait aux services de la Gestapo contre les travailleurs nonchalants ou récalcitrants pour lesquels furent créés spécialement des camps d’éducation au travail – concoururent fortement à la dégradation de la condition des salariés.
Mais l’essentiel des coûts de la sanglante politique de guerre dans le secteur de la production fut supporté par les diverses catégories de travailleurs forcés, prisonniers de guerre et détenus des camps de concentration, employés dans des conditions le plus souvent inhumaines et dont le nombre finit par atteindre huitmillions. Cela, ajouté à l’exploitation économique forcenée des territoires occupés à l’Est, ainsi qu’à la réquisition des économies d’Europe occidentale, permit à la population allemande de ne pas avoir à subir tout le poids de la guerre, et notamment de ne pas mobiliser complètement la main-d’œuvre féminine. La vocation de la Sécurité Sociale, dont le contrôle échut de plus en plus au Front du Travail, changea radicalement : au lieu de limiter l’exploitation des travailleurs et de garantir leur santé ainsi que leur revenu, elle devint un instrument destiné à assurer la productivité de l’individu. Handicapés sociaux, personnes âgées et malades se voyaient rejetés dans le groupe des asociaux et finalement inclus en partie dans le programme d’euthanasie. La politique sociale traditionnelle disparut. Les salariés allemands furent astreints à un impératif productiviste teinté de biologisme, destiné à mobiliser toutes les énergies au service du régime. Quant aux autres groupes soumis à une discrimination sociale ou religieuse, ils furent exclus du système de protection auquel ils pouvaient prétendre antérieurement.
Le III e Reich ne concrétisa jamais l’utopie sociale à dominante agrarienne des idéologues nationaux-socialistes de la veine d’Alfred Rosenberg. Dans les dernières années de son existence, il ressemblait au contraire à un vaste camp de travail hiérarchisé en niveaux différents. Sous la pression des attaques aériennes, il tendit également à séparer les travailleurs de leurs familles, que l’on évacuait vers des régions moins visées par les bombardements, en dépit de la résistance des ouvriers qui cherchaient par tous les moyens à rejoindre les leurs. En contradiction avec les engagements pris, la durée du travail ne cessa de s’éleverpendant la guerre, jusqu’au moment où tout accroissement supplémentaire se heurta à la résistance des travailleurs.
Après la période de chômage massif, engendré par la crise de 1929, le retour au plein emploi, vers 1935, constitua un succès psychologique et factuel réel du régime nazi. Ce n’est que plus tard que les travailleurs firent l’expérience de réductions rampantes, directes et indirectes, du niveau de vie. Au cours de la guerre, la consommation privée se réduisit finalement de près d’un tiers. La disponibilité en logements, en vêtements, en biens industriels d’usage courant diminua constamment et, à partir de 1944, les industries de biens de consommation travaillèrent exclusivement pour la Wehrmacht. La fraction supérieure des couches moyennes fut relativement moins atteinte que la masse des ouvriers par cette évolution. Le nivellement des inégalités sociales, thème récurrent de la
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