Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
s’est interrompu, a regardé avec un air
affolé autour de lui, comme s’il prenait conscience que nous étions dans notre
chambre de l’hôtel Lux. Avec de grands gestes, sans me dire un mot, il m’a
invitée à me coucher, à m’enfouir sous les couvertures.
    Je me suis rebiffée contre cette précaution, cette
paranoïa ridicule, mais il m’a saisie par le poignet, m’a entraînée et j’ai
cédé.
    Il a alors chuchoté qu’il avait appris l’existence,
au sein des “Organes” – aujourd’hui le NKVD, hier la Guépéou ou la Tcheka –, d’un
laboratoire de toxicologie créé dès 1921 sur ordre de Lénine.
    Et chacun savait à quelles fins.
    J’ai repoussé les couvertures, j’étouffais. »

12.
    Julia se souvenait.
    Elle avait éprouvé la même sensation de
suffocation en arrivant à Moscou, dix ans auparavant, le 17 décembre 1923.
    Elle avait d’abord cru qu’elle était victime
de la fatigue du voyage, du fait d’avoir quitté Heinz et même Thaddeus
Rosenwald, mais aussi – elle s’en était étonnée, se l’était reproché – Erwin
von Weibnitz, restés tous trois à Berlin.
    Puis elle avait pensé que la cause de son
malaise avait été la présence de ce « Rat », ce Géorgien de la
Guépéou, Trounzé, ce dévôt de Staline, puis, à partir de Petrograd, par la
compagnie de Willy Munzer et l’angoisse qui émanait de lui, de ce qu’il lui
avait confié, cette guerre que les dirigeants du Parti se livraient autour de
Lénine, corps impotent dont l’esprit était déjà mort.
    Et sans doute tout cela l’avait-elle affectée,
oppressée, et elle avait imaginé que, retrouvant sa chambre de l’hôtel Lux, elle
se reposerait, se calmerait, desserrant ce carcan qui lui enserrait la poitrine.
    Mais, au contraire, l’impression d’étouffement
s’était accentuée.
    Le ciel au-dessus de Moscou n’était qu’un
immense drap noir et froissé. La neige ressemblait à un châle de deuil grisâtre
et effiloché. Les visages des passants étaient fermés, las. Tous paraissaient
se rendre à une veillée funèbre.
    Et Lénine, en effet, agonisait, même si les
communiqués des médecins, nombreux, qui le soignaient, affirmaient que son état
s’était amélioré.
    Julia avait erré quelques dizaines de minutes
dans les rues envahies par une neige boueuse et elle avait eu si froid qu’elle
était rentrée à l’hôtel Lux, s’installant au bar, tentant de se réchauffer en
versant des verres de vodka dans ses tasses de thé.
    Willy Munzer, un
jour, puis d’autres camarades, le lendemain, étaient venus s’asseoir auprès d’elle.
    Ils chuchotaient, regardant autour d’eux comme
s’ils avaient craint d’être épiés. Munzer semblait avoir oublié les jugements
sévères qu’il avait portés sur Staline au cours du voyage entre Petrograd et
Moscou, et peut-être n’était-il là que pour les rectifier, dire que c’était
Lénine et non pas Staline qui était responsable de la répression qui s’était
abattue sur les écrivains, les opposants, ces derniers mois :
    — Lénine a ordonné qu’on dresse des
listes de gens à arrêter, à expulser, à déporter. Il veut se débarrasser des
intellectuels. Il s’est emporté. Hulmann, de la Guépéou, m’a décrit la scène. Lénine
était hors de lui, ses nerfs commençaient à lâcher, il avait déjà eu plusieurs
spasmes violents et il gesticulait : « Arrêtez-en plusieurs centaines
et, sans fournir la moindre explication, dehors ! »
    « Il a exigé quelques jours plus tard qu’on
lui renvoie les listes en indiquant qui avait été exilé, emprisonné, déporté, et
pourquoi certains avaient été laissés en liberté.
    Voilà Lénine, et Staline a été contraint d’exécuter
ses ordres.
    « Hulmann m’a lu la lettre que Lénine a
envoyée à Gorki qui s’inquiétait du sort de ses amis poètes, dramaturges, professeurs.
Sais-tu ce que Lénine lui a répondu ? “Les forces intellectuelles des
ouvriers et des paysans grandissent et se renforcent dans la lutte contre la
bourgeoisie et ses complices, les intellectuels, les laquais de la bourgeoisie
qui se croient le cerveau de la nation…” »
    Willy Munzer s’était penché vers Julia, lui
avait entouré le cou et avait murmuré à son oreille :
    — Lénine a ajouté : « En
réalité, ces intellectuels ne sont pas le cerveau de la nation, mais sa merde ! »
    Il s’était écarté :
    — Mais oui, sa merde ! Je suis de la
merde !

Weitere Kostenlose Bücher