Le Pacte des assassins
les
fauteuils de la suite de Rathenau.
Celui-ci, réticent, ne voulait pas “rejeter” l’Allemagne
à l’Est, aux côtés des bolcheviks.
J’ai dû employer toute ma passion pour
convaincre Rathenau, lequel n’a cédé qu’après que le chancelier du Reich se fut
rangé à mon avis.
Cette nuit-là, j’ai été utile à l’Allemagne, comme
l’a toujours été ma famille depuis qu’elle s’est enracinée dans la terre de
Poméranie, il y a plusieurs siècles déjà. »
Cette passion qui
habitait Erwin von Weibnitz, Thaddeus Rosenwald n’a pas douté que Julia Garelli
l’avait avivée.
Julia note pour sa part dans son journal à la
date du 20 avril :
« Quitté
Rapallo avec Thaddeus Rosenwald. Train bleu. Thaddeus est joyeux. Nous dînons
au Champagne au wagon-restaurant. Il m’offre une paire de boucles d’oreilles. Elles
ont appartenu, dit-il, à je ne sais quelle princesse de la famille impériale.
Elles sont, ajoute-t-il, mes “décorations”
pour l’œuvre accomplie.
Nausée. Je repousse le coffret. Je ne peux
prononcer un mot. Je sais que certains des bijoux appartenant aux membres de la
famille impériale ont été arrachés à leurs cadavres. Heinz m’avait raconté
cette “exécution”, ce massacre décidé pendant la guerre civile afin que ne
subsistât aucun survivant de la dynastie. Et l’on n’avait donc pas épargné les
enfants.
Thaddeus Rosenwald n’essaie pas de connaître
les motifs de mon refus. Il rempoche prestement le coffret et ajoute qu’il est nécessaire – il répète le mot – que je revoie Erwin von Weibnitz.
— Tu l’as ferré, dit-il. Il faut le
garder au bout de la ligne.
Je quitte la table et vais vomir.
11.
Julia Garelli est une énigme.
J’ai l’impression, à parcourir sa vie, de me
perdre dans un labyrinthe dont je ne trouve pas l’issue.
Elle a quitté
Rapallo en compagnie de Thaddeus Rosenwald. À lire son journal, il me semble qu’elle
est décidée à ne plus se soumettre, qu’elle « vomit » ce que
Rosenwald exige d’elle. Mais je la retrouve à l’hôtel Lutetia partageant une
chambre avec Erwin von Weibnitz qui l’a suivie à Paris.
Puis elle disparaît plusieurs jours. Pas une
ligne dans son journal, mais une coupure du quotidien Paris Soir, glissée
entre les pages, qui annonce l’assassinat par un groupe d’anciens des corps
francs – donc par des hommes liés à la Reichswehr – du ministre des Affaires
étrangères allemand, Rathenau, accusé de ne pas appliquer le traité de Rapallo.
Quand Julia reprend
la plume, elle est à Berlin, chez Erwin von Weibnitz, qui héberge Heinz Knepper
traqué par la police.
Elle note :
« Nuits folles.
L’un et l’autre. Est-ce possible ? C’est. Notre politique est démente et
je le suis donc devenue. Heinz et Thaddeus pensent que la révolution est
impossible en Allemagne et, cependant, ils ne renoncent pas.
Ils veulent constituer un front commun avec
les nazis, la Reichswehr, les hommes des corps francs, les extrémistes de
droite ; Heinz m’explique qu’il faut que le communisme s’allie au fascisme
pour renverser la république bourgeoise, liquider les sociaux-démocrates qui
sont les agents de l’impérialisme anglo-français.
Il me lit le discours qu’il doit prononcer
dans une réunion clandestine où il espère que se rendront nationalistes et
communistes. Il compte célébrer la mémoire des patriotes allemands d’extrême
droite qui ont été condamnés à mort et exécutés par les Français. Il s’enflamme,
pérore comme s’il avait devant lui une salle enthousiasmée par son éloquence :
“Nous ferons tout pour que ces hommes qui étaient prêts à aller au-devant de la
mort pour une cause collective ne soient pas des voyageurs pour le néant, mais
fassent route avec nous vers un avenir meilleur pour l’humanité entière…”
Von Weibnitz a écouté cette péroraison et l’a
applaudie. »
J’essaie de
comprendre Julia, sans y parvenir.
Elle est entraînée par cette machinerie
humaine, elle aussi énigmatique, qu’est l’Histoire, qui ne connaît qu’une seule
loi : celle de la surprise.
Et bien que j’aie devant moi toutes ces
archives, ces mémoires, les carnets de Julia, mes questions restent sans
réponse.
Pourquoi ne rompt-elle pas avec Thaddeus
Rosenwald, Heinz Knepper, les Russes, alors qu’elle prend conscience des
compromissions de la politique des Soviets, de sa dérive ?
Elle sait aussi que la maladie frappe
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