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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fier d’avoir été stalinien ?
    Ce discours d’aliéné, ces historiens l’avaient
écouté, reproduit, le nuançant ici, l’approuvant là, le prenant toujours en
considération, avec respect. Alfred Berger était un vénérable vieillard, témoin
et acteur exceptionnel de ce XX e siècle.
    En lisant leurs livres et leurs articles je me
suis souvent emporté, la bouche pleine d’injures.
    J’en ai voulu aux dieux protecteurs d’Alfred
Berger ou au hasard qui avaient choisi de le faire mourir au début de l’année
1989, lui évitant ainsi de voir les peuples d’Europe et d’Asie se soulever
contre l’URSS, le mur de Berlin être démantelé, Leningrad redevenir
Saint-Pétersbourg, et les dirigeants russes, pareils aux tsars, se faire bénir,
au milieu de l’encens et des chants, par les popes.
    Je m’étais indigné qu’on (qui ? les dieux,
le hasard ?) eût offert à Alfred Berger la chance de pouvoir pérorer alors
que la révolution mondiale n’était plus qu’une momie semblable à celle qui
continuait de se racornir dans le mausolée de la place Rouge.
    Quant au communisme qu’Alfred Berger avait pu
encore vanter à la veille de sa mort, il servait une fois de plus de masque à
quelques régimes dictatoriaux.
    Mais Alfred Berger avait pu penser et
prétendre qu’il ne s’agissait là que d’un creux de la vague humaine, que la
houle révolutionnaire allait s’élever à nouveau, balayer les continents.
    Et ses propos qu’avait rapportés la presse
locale, sous le titre « À quatre-vingt-quinze ans, Alfred Berger est mort,
l’espérance révolutionnaire au cœur », m’avaient scandalisé.
    Face à cette longue vie, à cette vieillesse
préservée, à cette obstination dans l’illusion et le mensonge, j’avais pensé à
tous ces cadavres qui jalonnaient depuis son adolescence le destin d’Alfred
Berger.
    Il avait eu dix-sept ans en 1910.
    Dans l’un des cahiers d’écolier de mon père
entassés dans le « cercueil de mes ancêtres », j’ai trouvé un cliché
pris dans la cour de l’orphelinat de Carpentras. Brodequins, chaussettes grises
qui tire-bouchonnent, blouse noire trop courte serrée à la taille par un large
ceinturon, béret basque incliné à droite ; Alfred Berger est au centre du
cliché, entouré de trois jeunes gens qui se tiennent épaule contre épaule.
    Tous trois ont souscrit un engagement dans l’armée.
Alfred Berger est le seul à avoir choisi la marine, et l’abbé Marchandeau, qui
dirige l’orphelinat, a obtenu des autorités militaires que cette demande soit
prise en considération.
    Depuis dix ans, l’abbé a souvent dû punir cet
enfant indiscipliné, solitaire, singulier, rebelle. Dans la marine, on va le
dresser, même si on ne fouette plus les mousses avec une corde à nœuds.
    Et puis, on leur apprend un métier.
    Sur la photo, les
quatre jeunes gens ont le visage émacié, les yeux fixes.
    Au dos de ce cliché cartonné, mon père a
inscrit : « Un seul survivant, Alfred Berger, les trois autres
orphelins sont tombés dans les deux premières années de la guerre en Alsace, en
Champagne, à Verdun. »
    Il m’a semblé qu’Alfred Berger était celui que
la mort ne voulait pas nommer, comme si elle aussi avait oublié l’identité
véritable de cet enfant trouvé, de cette vie cachée sous un prénom et un nom d’emprunt, Alfred Berger.
    Mon père, lui, ne l’écrit jamais. Alfred
Berger, pour lui, c’est le grand Il, l’immense Lui.
    Mon père rassemble des documents, des
témoignages, autant de matériaux pour la construction d’un mausolée dont il
sait qu’il ne posera pas la première pierre, qu’il ne le verra donc jamais bâti,
puisque, il le répète, il mourra avant. Lorsqu’il m’a confié ce « cercueil
de mes ancêtres », il m’a dit :
    — Tu es écrivain, tu travailles dans le
cinéma, tu pourras écrire un livre, faire un film, Il le mérite, Lui, ça
n’est pas n’importe qui.
    Mon père se pensait, s’acceptait pour sa part
en « n’importe qui ».
    Et moi, je suis devenu enragé en suivant
Alfred Berger depuis cet orphelinat de Carpentras.
    « Il n’a pas
été maltraité, écrivait mon père. “Les curés, disait-Il, m’ont beaucoup appris.
Les meilleurs maîtres sont ceux qui ne vous pardonnent rien.”
    Alfred Berger a été privé de vacances – où
serait-il allé ? On n’osait le confier à une famille : trop
indiscipliné, trop révolté, capable de s’enfuir dès la première

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