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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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« comblait » – tant de camarades devenus des ennemis.
    Mais il y avait cette circonstance atténuante
originelle.
    Il n’avait eu qu’un prénom et un nom d’emprunt,
donc une identité d’apparence, une vie qu’on lui avait donnée comme une obole.
    Alfred, c’était le
prénom du gendarme auquel Antoine Baron, propriétaire de la bergerie, l’avait
remis.
    Les chiens avaient aboyé, avait raconté Baron.
Il les avait trouvés, tournant autour du couffin, écartant les moutons qui tentaient
de s’en approcher.
    Les vêtements de l’enfant étaient ceux d’une
famille riche. On n’en voyait pas comme ça dans les campagnes d’ici. Il devait
être né au-delà du Ventoux, peut-être même en Italie ou en Suisse – on en fait,
du chemin, en quinze jours –, à moins qu’il ne fût venu de l’autre côté du
Rhône, d’Avignon, qui sait ?
    Mais Antoine Baron n’avait pas voulu de cet
enfant.
    Les inconnus qui sont nés sans qu’on sache ni
où, ni comment, ni de qui, avait-il dit, ils portent toujours en eux quelque chose
de malfaisant. C’est pas leur faute, mais ça n’est pas de la bonne graine.
    Et pourtant, Antoine Baron avait été flatté
quand le gendarme lui avait dit qu’on avait inscrit l’enfant à l’orphelinat de
Carpentras sous le nom de Berger, puisque Baron l’était.

18.
    Alfred Berger est mort le 27 janvier 1989 à
près de quatre-vingt-seize ans dans le mas qu’il avait baptisé « Les
Lendemains », situé à quelques kilomètres de l’orphelinat de Carpentras où
il avait été inscrit sur le registre des entrées le 31 juillet 1893.
    Souvent, en remontant le cours de sa vie, en
le voyant échapper à une arrestation – et donc à la déportation et sans doute à
la mort –, ou bien être libéré de prison alors qu’il aurait dû être reconnu, torturé
jusqu’à ce qu’il livrât les secrets qu’il détenait, je me suis demandé si des
dieux bienveillants, pleins de remords et de compassion pour cet enfant rejeté,
abandonné, n’avaient pas veillé sur lui. Ou bien – c’était plus prosaïque, plus
sinistre – s’il n’avait pas offert à la mort les noms de ceux qui l’entouraient
pour qu’elle s’en repût et le laissât avancer encore.
    Si tel a été le cas – ma raison me pousse à
accepter cette hypothèse –, alors Alfred Berger n’aura été qu’un dénonciateur, un
mouchard, un lâche qui veut sauver sa peau en vendant celle des autres. Et ce
marché, il le déguise en stratégie politique. Il se donne le beau rôle d’homme
de fer, insensible, sachant sacrifier
les camarades au nom de l’intérêt supérieur du Parti.
    Mais peut-être a-t-il eu seulement de la
chance, a-t-il été servi par un hasard improbable ? Un dossier qui ne
parvient pas à temps à l’inspecteur qui l’interroge en 1942, et qui se laisse
convaincre que cet homme-là a été suspecté à tort, et les portes de la prison s’ouvrent
sur Alfred Berger. À moins qu’il n’ait livré tout le réseau de partisans qui
opéraient dans la région parisienne, abattant des officiers allemands – et, dans
ce cas, il serait responsable de l’exécution d’une dizaine de jeunes hommes, de
l’assassinat de Willy Munzer, de la déportation – et de la mort – de plusieurs
autres. Mais sans doute ne faisait-il qu’appliquer là les consignes du Parti
qui suspectait depuis longtemps Munzer de ne plus être dans la ligne ?
    Qui saura ?
    Le puzzle d’une vie ne peut jamais être
totalement reconstitué. Le caractère d’un homme est un chaos, son destin, un
labyrinthe, et vouloir les débrouiller, ça n’est jamais que créer un autre
chaos, dessiner un autre labyrinthe.
    Je me suis cependant obstiné.
    La longévité d’Alfred
Berger me paraissait une injustice. Lui qui avait été mêlé aux combats les plus
douteux, les plus tortueux, les plus dangereux du siècle, vivait les dernières
années de sa vie en patriarche, recevant de jeunes historiens respectueux, émus.
    Son mas s’appelait donc « Les Lendemains » :
pourquoi ? interrogeaient-ils.
    Il souriait, murmurait :
    — Les lendemains qui chantent, bien sûr !
Et ils chanteront, croyez-moi ! On réévaluera l’œuvre de Staline, on
mesurera que cet homme a plus fait pour l’humanité que tant de ceux qu’on nomme
des bienfaiteurs du genre humain. Il a brisé les reins de Hitler. Il a empêché
le règne de la barbarie, une régression millénaire. Et vous voudriez que je ne
sois pas

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