Le Pacte des assassins
vers Berlin – des
propos que lui a tenus Sergio Lombardo :
« Sergio a
tenté de me dissuader de partir :
— À l’ambassade, vous êtes en territoire
italien, me dit-il. Vous pouvez y demeurer jusqu’à ce que Rome ait négocié avec
Moscou un troc qui vous permettrait de regagner l’Italie. Les relations que
nous entretenons avec l’URSS sont bonnes. Nous sommes un partenaire commercial
et politique important pour eux. Et nous avons arrêté plusieurs agents
soviétiques qui peuvent servir de monnaie d’échange. Mussolini connaît de l’intérieur
le cynisme des communistes. Il a côtoyé les bolcheviks exilés en Suisse, et
Lénine en personne. Il est l’ami de votre père. Il mettra un point d’honneur à
vous faire sortir de cette prison.
L’insistance de Sergio, sa détermination m’étonnent
et m’émeuvent. Je ne suis plus habituée à la générosité, à l’amitié, aux
sentiments humains autres que la peur, le soupçon et la haine. Sergio me répète
que Mussolini, comparé à Staline, est un prince humaniste de la Renaissance
face à Ivan le Terrible. Et le fascisme n’est qu’une démocratie atrophiée, alors
que le communisme est une barbarie sans limites. Il s’indigne que les
antifascistes osent, sans rire, dire que les îles Lipari où on les relègue sont
une “Sibérie de feu”. Comment peut-on s’aveugler à ce point ?
Je défends du bout des lèvres l’Union
soviétique, mais, tout à coup, Sergio me saisit les poignets, les serre, dit d’une
voix étouffée par l’émotion :
— Écoutez-moi, Julia, écoutez-moi, je
voulais vous épargner ça, mais il faut que vous sachiez !
Il me raconte comment, il y a dix jours, une
petite fille a été poussée devant l’entrée de l’ambassade par une inconnue qui
s’est enfuie. L’enfant sanglotait et répétait sans sembler comprendre : “Julia
Garelli.”
Les carabiniers de garde ont hésité. Ils ont
des ordres stricts pour refouler les Russes qui veulent se réfugier à l’ambassade.
Mais ils étaient troublés par le nom de Garelli, émus par cette enfant. Ils n’ont
pas eu le temps d’ouvrir les portes. Les agents du NKVD qui surveillent l’ambassade
se sont précipités et ont enfourné la fillette dans un “corbeau noir”.
J’ai aussitôt compris que le jour de ma
rencontre avec Lui, à Kountsevo, Il avait donné l’ordre d’arrêter Vera Kaminski.
Celle-ci avait dû le pressentir et confier sa fille à une passante afin qu’on
la conduisît à l’ambassade, dans l’espoir qu’on l’y recevrait si elle se
présentait en donnant mon nom.
Que sont devenues Vera et Maria Kaminski ?
Je me suis souvenu du “corbeau noir”
stationnant devant l’hôtel Lux à côté de la limousine qui devait me conduire à
Kountsevo.
Je roule vers Berlin.
Le loup a commencé de m’égorger. »
33.
Julia a séjourné à Berlin de la fin du mois de
janvier 1938 au mois de juillet de la même année, la plus décisive de l’avant-guerre.
Elle occupait une chambre lambrissée au
dernier étage de l’hôtel Prinz Eugen, non loin de la chancellerie du Reich.
C’était le temps des fifres et des tambours, des
parades sur Unter den Linden, des drapeaux à croix gammée suspendus aux arbres,
aux lampadaires, à toutes les fenêtres.
Hitler prenait le commandement de la
Reichswehr. Un mois plus tard, en mars, les troupes allemandes entraient dans
Vienne, marchant sur un tapis de pétales de roses au milieu des acclamations de
la foule en délire.
L’on donnait des bals dans les ministères, à
Berlin, pour célébrer l’Anschluss, cette réunification du peuple germanique, et
Julia entendait Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères aux hanches si
larges qu’il avait une silhouette en forme de poire, dire au milieu d’un cercle
de jeunes femmes en robes longues et de messieurs en smoking ou en grand uniforme
que le tour des Allemands des Sudètes viendrait, qu’ils retrouveraient eux aussi leur patrie, qu’on ne
saurait davantage tolérer que les Tchèques les oppriment.
Julia parcourait les grandes salles de la
chancellerie au bras du général Karl von Kleist qui lui murmurait que jamais
les rapports entre le Führer et le Duce n’avaient été aussi bons, il devait
même dire aussi fraternels, ainsi qu’ils devaient être entre compagnons d’armes.
Kleist lui serrait le bras, la questionnait
tout en inclinant la tête pour saluer l’ambassadeur soviétique Alexandre
Meskine, lequel
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