Le Pacte des assassins
l’avait
fait jouir, il lui fallait vivre, malgré tout.
Willy Munzer l’a entraînée, arrêtant un taxi, les
faisant conduire jusqu’à Potsdam et ne se mettant à parler qu’une fois entrés
dans le parc du château.
— Il veut l’alliance avec l’Allemagne
nazie, avait-il commencé. Il ne veut pas « tirer les marrons du feu »
pour Londres et Paris.
Et Julia n’avait pu s’empêcher de sourire, de
lui restituer à l’identique les propos que lui avait rapportés Karl von Kleist. Munzer n’avait pas paru décontenancé, au
contraire. Contre Paris et Londres, Hitler et Staline allaient se liguer.
— Staline l’a dit, c’est une partie de
poker à trois. Il la prépare, il chasse les Juifs du ministère des Affaires
étrangères, de l’ambassade, ici, à Berlin, pour ne pas déplaire à Hitler et à
Ribbentrop. Naturellement, il va donner d’autres gages, livrer les communistes
allemands à la Gestapo, pourquoi pas ?
Tout à coup, Willy
Munzer s’était arrêté, avait saisi Julia aux épaules, l’avait secouée.
Il fallait qu’elle prenne conscience de ce qui
se tramait. Il n’y avait plus de place en URSS pour des gens comme eux. Lui-même
ne rentrerait pas à Moscou. Il allait continuer à combattre le fascisme et le
nazisme à Paris, et Thaddeus Rosenwald allait sûrement prendre la même décision.
— Et toi ?
Elle s’était dégagée de l’étreinte de Willy
Munzer. Elle avait fait quelques pas, s’était éloignée puis était revenue et
avait murmuré qu’elle voulait sauver Heinz Knepper.
Alors Willy Munzer l’avait enlacée, l’avait
étreinte, puis ils s’étaient remis à marcher bras dessus, bras dessous, et il
avait dit ce qu’il savait des arrestations, des tortures, des procès, des
condamnations, de cette folie qui avait saisi Iejov, Beria, ces tueurs aux
ordres du Grand Paranoïaque.
34.
Julia Garelli et Willy Munzer avaient déambulé
jusqu’au crépuscule dans le parc de Potsdam.
À chaque fois que Munzer avait prononcé le nom
de l’un de ces inculpés que le procureur Vychinski traitait de « vipères »,
de « chiens enragés », de criminels qui avaient assassiné Maxime
Gorki et Kirov, qui n’étaient qu’une « engeance de gardes blancs »,
« d’indignes laquais des fascistes », de « monstres
boukharino-trotskistes que le peuple soviétique allait faire disparaître en les
conduisant au poteau d’exécution », Julia avait eu l’impression qu’on la
frappait sur la nuque.
C’était comme si elle avait été, elle aussi, livrée
à Beria qui, peu à peu, avait pris le contrôle du NKVD, arrachant le pouvoir à
Iejov, maniant lui-même le gourdin.
— Il brise les crânes, avait dit Munzer, il
s’acharne jusqu’à ce que la peau éclate, que les jambes ne soient plus qu’une
seule plaie, que la plante des pieds soit devenue noire. Et parfois son tueur, une
brute, un monstre de cent cinquante kilos, un Géorgien, Tsereteli, saute à
pieds joints sur le corps de ces
malheureux, nos camarades innocents, Julia, nos camarades…
Elle avait imaginé Heinz Knepper entre les
mains de ces bourreaux et elle avait eu envie de hurler de désespoir.
Ils avaient condamné
Boukharine et même Iagoda, l’ancien chef du NKVD qui avait les mains rougies du
sang des milliers de prisonniers qu’il avait fait exécuter. Et maintenant c’était
le tour des exécuteurs.
Julia avait connu la plupart de ces hommes.
Elle se souvenait de Krestinski, un vieux
diplomate qui avait été ambassadeur à Berlin et qui, lors de la première
audience de son procès, avait eu le courage de déclarer :
— Je ne me reconnais pas coupable. Je ne
suis pas membre du groupe des droitiers et des trotskistes. Je n’ai commis
aucun des crimes dont on m’accuse. Comment ose-t-on prétendre que j’étais en
contact avec le service d’espionnage allemand ? J’étais jusqu’à mon
emprisonnement membre du Parti communiste de l’Union soviétique, et je le suis
toujours.
Krestinski avait résisté un jour entier, réfutant
les témoignages à charge dont ses coïnculpés l’accablaient.
Une nuit était passée.
Mais, le lendemain, tête baissée, il avait
reconnu tous les crimes qu’on lui imputait, allant jusqu’à dire qu’il avait
commencé à espionner pour le compte de l’Allemagne dès 1918 :
— Je confirme pleinement l’ensemble des
déclarations que j’ai faites pendant l’instruction. Je suis un espion criminel.
Un
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