Le Pacte des assassins
l’étranger qu’on soupçonnait d’avoir
pris contact, en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, avec des
opposants au pouvoir soviétique.
Le dossier du NKVD contenait aussi une
dénonciation précise de Julia Garelli signée d’un dirigeant communiste français,
agent des Services, Alfred Berger. Celui-ci accusait Rosenwald et Garelli d’avoir
tenté d’imposer à la direction du PCF un trotskiste, Boris Serguine. Julia
avait été la maîtresse de Serguine et, au cours d’un voyage à Rome, ils avaient
rencontré un ancien communiste, Paolo Monelli, passé au fascisme.
Vlassik et Poskrebychev avaient relevé que
Staline avait tiré un trait au crayon devant le nom de Vera Kaminski, et fait
suivre ceux de Thaddeus Rosenwald et de Willy Munzer de points de suspension.
La première était donc condamnée, les deux
autres maintenus sous surveillance permanente.
Julia
Garelli-Knepper n’avait appris l’arrestation de Vera Kaminski que quelques
heures avant son départ pour Berlin, une dizaine de jours après sa rencontre
avec Staline.
Elle n’était pas retournée à l’hôtel Lux. L’agent
du NKVD qui l’accompagnait, un homme jeune aux manières brusques du nom de
Vassiliev, lui avait indiqué qu’elle serait logée au Métropole, le nouveau
grand hôtel de Moscou. Elle y était consignée, ne pouvant sortir sans
autorisation. Celle-ci devait être sollicitée auprès de la direction du NKVD.
Vassiliev l’avait avertie qu’il était prêt à
user de la force, si nécessaire, pour l’empêcher de quitter le Métropole. Cependant,
le dixième jour, Julia dut se rendre à l’ambassade italienne afin d’y retirer
son visa, puisqu’elle était toujours de nationalité italienne et que c’était là,
avec son titre de noblesse, l’une des clés qui lui ouvraient les portes des
salons de toute l’Europe.
On savait qu’elle était au service des
Soviétiques, mais, commentait-on, c’était par esprit de contradiction, par « extravagance »
plus que par conviction. Elle était l’une de ces « aristocrates rouges »,
de ces « originales », de ces « aventurières » qui, donnant
du piment à un dîner, suscitaient les désirs et les curiosités.
On l’avait vue aux côtés du colonel von
Weibnitz, puis de Karl von Kleist, devenu général, ainsi que de quelques autres
comme ce diamantaire, Samuel Stern, qui sillonnait l’Europe. Elle avait, disait-on,
épousé un dirigeant communiste allemand, Heinz Knepper, mais ce n’était sans
doute qu’une rumeur. Les diplomates soviétiques la démentaient. Et on les
croyait d’autant mieux qu’ils affirmaient que la comtesse Garelli avait ses
entrées au Kremlin et qu’elle voyait fréquemment Staline dont elle était
peut-être la messagère.
Julia savait tout
cela. Elle en avait joué et avait pris plaisir à cette comédie à Rapallo, à
Venise comme à Paris.
Elle écrit dans son journal :
« Dernier jour
à Moscou. Je pars cette nuit pour Berlin. Vassiliev m’accompagnera jusqu’à la
frontière finlandaise. Je dois d’abord me rendre à l’ambassade italienne pour y
retirer mon visa.
Je réprime comme une inconvenance et une trahison
la joie qui m’envahit à l’idée de revoir en tête à tête Sergio Lombardo.
Je suis impatiente de franchir cette frontière
au-delà de laquelle je suis sûre que j’éprouverai un irrépressible sentiment de
liberté. Mais je ne veux pas céder à l’illusion, à la griserie. Je suis tenue
en laisse.
Si je veux que Heinz Knepper ne soit pas
exécuté, il faudra que j’obéisse.
Souvent, je pense à Vera Kaminski, sûre qu’ils
ont déjà tué Heinz ! J’aurais alors conclu un marché de dupe, comme une
putain qui n’a pas exigé qu’on la paie avant de la baiser. Je me serais alors
prostituée pour rien. Je ne peux envisager cette hypothèse. Je dois agir comme
si Heinz n’était qu’un prisonnier de la Loubianka dont le sort n’est pas encore
fixé.
Il dépend de moi qu’il meure ou qu’il survive.
Le loup tient ma gorge entre ses crocs. »
Lorsqu’elle écrit
ces lignes, Julia n’a pas encore rencontré Sergio Lombardo, le diplomate
italien ami de la famille Garelli et à qui – c’est mon hypothèse – elle
confiera ses carnets afin qu’il les fasse parvenir en Italie par la valise
diplomatique.
Julia Garelli les retrouvera en 1945.
Elle rend compte dans son journal – j’imagine
qu’elle écrit le même jour, mais dans le train qui roule
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