Le Pacte des assassins
eux-mêmes un châtiment, se
couvraient le visage, emplissaient leur bouche de leur propre merde.
J’ai vomi dans cette voiture et les officiers
du NKVD m’ont insultée et bourrée de coups de pieds. »
Julia écrit ces
lignes assise devant la fenêtre de sa chambre au premier étage du palazzo
Garelli.
Elle est revenue à Venise dès qu’elle a pu
quitter l’Allemagne, au mois de juin 1945.
Les autorités américaines l’avaient longuement
interrogée, s’étonnant qu’elle eût survécu à deux années de camp soviétique, l’un
des plus sévères, celui de Karaganda, puis à cinq années au camp de Ravensbrück.
L’officier des services de renseignement n’avait
pas caché qu’il la soupçonnait d’avoir été à la fois un agent communiste et une
collaboratrice des nazis.
Qu’elle fût vivante, n’était-ce pas la preuve
de ses compromissions ?
Et puis elle était l’épouse de Heinz Knepper
dont on ignorait le sort. Il n’avait pas été jugé à Moscou. Il avait disparu et
peut-être, sous une nouvelle identité, était-il l’un de ces agitateurs
communistes, de ces experts en révolution, souvent allemands, qui conseillaient
Mao Tsé-toung ?
Julia avait hurlé, renversé la table, crié qu’elle
n’avait pas subi les interrogatoires du NKVD et de la Gestapo pour se retrouver
accusée par un officier américain ! Assez ! Assez !
Elle avait éclaté en sanglots et, après avoir
battu des bras comme une femme qui se noie, elle s’était évanouie et on avait
dû l’hospitaliser.
Elle avait ainsi
attiré l’attention de l’état-major américain.
On avait découvert qu’elle était la fille et
la sœur des comtes Lucchino et Marco Garelli, et, à sa sortie de l’hôpital, on
l’avait traitée avec la considération due à son rang et aux malheurs qu’elle
avait subis.
On lui avait appris avec ménagement que son
père, Lucchino Garelli, avait été abattu par des partisans communistes qui l’accusaient
d’avoir été un hiérarque fasciste et d’être resté fidèle à Mussolini après l’armistice
du 8 septembre 1943 qui avait vu l’effondrement du régime du Duce.
Quant à Marco Garelli, le frère de Julia, il
avait été fusillé par les Brigades noires fascistes qui l’avaient arrêté au
moment où il tentait de rejoindre des unités de partisans opérant dans la
vallée du Pô.
Julia avait fermé les yeux, baissé la tête en
apprenant ainsi qu’elle était la dernière des Garelli.
Elle était restée plusieurs minutes tassée, silencieuse,
puis elle avait murmuré qu’elle souhaitait rentrer chez elle, à Venise.
Les Américains avaient aussitôt mis un avion à
sa disposition. Elle avait voyagé seule dans l’immense carlingue, emmitouflée sous
des couvertures.
En atterrissant sur l’une des pistes de l’aéroport
de San Nicolo, elle s’était souvenue de ce mois de juin 1934, quand son frère l’avait
présentée au général Karl von Kleist et qu’elle avait serré la main potelée du Führer.
C’était il y avait des siècles, avant qu’elle
ne connût les derniers cercles de l’enfer.
Riva degli Schiavoni,
elle avait découvert que le palazzo Garelli était devenu le siège de la
Fédération du Parti communiste et elle avait dû, face à ces « camarades »,
dire qu’elle était prête à se suicider devant le palazzo si on ne lui
restituait pas son bien, ce qui, après ces cinq ans passés dans un camp nazi, non
seulement était pour elle un droit, mais, pour eux, un devoir.
Ils avaient abandonné le palazzo et elle avait
retrouvé chaque meuble, chaque tableau, et d’abord celui de la comtesse
Elisabeth Garelli, la tueuse perverse qui se baignait jadis dans le sang des
jeunes vierges qu’elle égorgeait.
Avant d’être des communistes, ces camarades, ces
bolcheviks-là étaient des Italiens. Leur chef, Palmiro Togliatti, ne se
prétendait pas l’héritier et le continuateur d’Ivan le Terrible, mais de
Machiavel !
Julia était restée
plusieurs jours recluse, jouissant de cet espace où elle était seule et qui lui
avait paru immense après la promiscuité des cellules et des blocks, à Karaganda
comme à Ravensbrück.
Puis elle avait recommencé à écrire : son
journal et ces textes qui allaient devenir, en 1949, quand elle s’installerait
en France à l’occasion de son témoignage au procès Kravchenko, ces deux livres : Tu leur diras qui je fus, n’est-ce pas ? et Tu auras pour moi la
clémence du
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