Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
d’admiration.
    – La voilà, broncha Paindorge qui, sans l’avoir rencontrée, commençait à la connaître.
    Tout absorbé qu’il fut par l’irruption d’un émoi dont il n’avait pas pressenti la violence, Tristan ne put soustraire sa jubilation aux regards de ses compères, l’un gai – Calveley -, l’autre réprobateur : Paindorge. Pour ce dernier, il allait une seconde fois immoler une épouse et des amours légitimes à une créature dont la beauté ne dilatait dans son esprit droit et simple, que la défiance ou le mépris.
    – Va, Robert. Galope et lorsque ton genet aura bu sa potion d’espace, occupe-toi de Malaquin… Prends ses rênes et attache-le quelque part.
    Ayant mis pied à terre, Tristan abandonna son cheval à l’écuyer qui s’éloigna en grommelant. Penché sur son gros roncin noir, Calveley le suivit :
    – Holà ! Paindorge, attends-moi.
    Tristan ne voyait désormais que Tancrède. Les bannières au faîte des mâts, les pennons sur les échafauds grands et petits aux essentes 68 peintes aux couleurs de l’Angleterre – rouge, azur et or -, les nefs, les filadières et les buissars amarrés au rivage du fleuve, les barrières et les piles de poutres et de planches entassées dans l’attente de l’érection du châtelet destiné au pas d’armes, rien ne pouvait retenir son attention. Une seule chose existait : elle était enfin présente. Charnellement. Elle l’attendait, accoudée à l’une des barrières.
    – Vous êtes belle, m’amie. Appuyée au bordage de la forclose on vous croirait sur un vaisseau en partance pour Avalon 69 …
    – Si je voulais y aborder pour cueillir une pomme, seriez-vous mon marinier ?
    – Oui… pour croquer le fruit où vous auriez mordu.
    L’allusion la fit sourire. Combien avait-elle croqué de pommes moins fabuleuses que celles d’Avalon depuis sa fuite de Rechignac, il y avait longtemps – si longtemps ? Devait-il continuer de se fourvoyer dans les allégories de la Table ronde pour obtenir ce qu’elle savait ?
    – Regardez, dit-elle en accompagnant son propos d’un large mouvement des bras. Il y a céans tous les métiers : charpentiers, couvreurs, fèvres, peintres…
    – Je ne les avais pas vus.
    Elle rit et parut agacée. Il avait cessé de les observer, pourtant, dès qu’elle était apparue.
    – Sur quel échafaud siégerez-vous dimanche ?
    – Le second à dextre à partir de celui du milieu. Les nobles dames s’y assiéront… Je serai au milieu des premières chaières 70 .
    – Reine ?
    – Non, fit Tancrède avec une moue que Tristan ne sut interpréter. Ce sera la femme de Thomas Roos, l’ancien mayeur 71 ou du nouveau, Robert Swynburne. J’ai porté moult fois la couronne. Les sacres de cette espèce, après m’avoir enchantée, me laissent indifférente.
    Elle se mit à marcher le long de la forclose. Il poussa la hèze (362) qui le séparait d’elle et la rejoignit.
    – Contournons la lice, dit-elle.
    Elle allait d’un pas sûr, alerte, qui s’accordait à merveille avec la nature apparente de sa personne. Il voyait parfois son pied se poser fermement sur le sol bossué, un pied à demi enfermé dans des sandales brodées d’or entre les lanières desquelles apparaissaient des orteils nus à semblance d’ivoire.
    – Claresme est-elle heureuse, messire Tristan ?
    C’était en l’occurrence une question incongrue formulée sans la moindre inquiétude. Il s’attendait à tout sauf à cette demande.
    – Il m’a semblé qu’elle l’était. Et c’est miracle, en vérité, car l’Espagne est déchirée. Le retour de don Pèdre sur son trône usurpé par Henri de Trastamare va continuer de provoquer des vengeances terribles contre ceux qui lui avaient fait défaut. Certes, votre sœur et sa famille n’ont rien à craindre… Aimeriez-vous revoir Claresme ?
    Tancrède demeura silencieuse. La secrète réponse était donc négative. Sous la huve légère qui la coiffait, les boucles et frisures de ses cheveux formaient une châsse sombre, scintillante, à son visage immuablement serein. Il releva – non sans plaisir – qu’au contraire des gentilfames qu’il avait aperçues dans l’antichambre du prince, elle n’avait point rasé ses sourcils. Leur arc soyeux, peu fourni, accroissait l’éclat moiré de ses yeux sous la caresse des paupières. Sa robe de satanin rouge vif, ample, d’une sobriété monastique sous les plis de laquelle vivaient des contours voluptueux,

Weitere Kostenlose Bücher