Le pas d'armes de Bordeaux
peut appeler la servitude. Qu’eussiez-vous fait à ma place ?
Tristan se contenta d’un mouvement des bras et sa senestre se serra, vive et forte, sur la prise de Teresa.
– Mon beau-père, Ogier d’Argouges, assistait à cette sortie. Elle lui a permis d’entrer dans la cité pour y sauver sa fiancée. Elle avait pour nom Blandine…
– Ma sœur.
Comme sous l’effet d’un heurt inattendu, la cervelière pencha sur le côté.
– Ma sœur Blandine… Qu’est devenu Argouges ? Amaury de Rochechouart, qui défendait la cité, m’a dit qu’il avait pu s’enfuir avec ma mère et ma sœur. J’ai su qu’il l’avait épousée à Chauvigny. Que sont-il devenus ?
Fallait-il le lui dire ? Oui : la vérité simplifierait tout.
– Votre sœur est morte de la morille 158 . Ogier, lui, fut occis en Espagne.
– Ah ! C’en est donc fini.
Herbert Berland n’éprouvait aucun chagrin.
– Puisque vous vous dites le gendre d’Ogier d’Argouges, c’est que vous avez épousé sa fille. La fille de ma sœur.
– Oui.
– Votre épouse est donc ma nièce.
– Évidemment.
Berland abaissa son regard sur son écu en forme de cœur, peint en noir, au centre duquel rayonnait un soleil d’or.
– Où vivez-vous tous deux ?
Tristan sentit dans l’air une sombre menace. « Il n’ose me regarder en face. De quelle sorte d’homme est-il ?… Me prend-il pour un menteur ? » Sa voix prit un ton de complicité qu’il n’éprouvait point.
– Je vous le dirai après ce pas d’armes. Voyez : on nous observe.
Pressentant que les compagnons de Berland ne lui seraient pas présentés – ce qui eût équivalu à une inconvenance -, il les rejoignit et se vit aussitôt entouré.
– Messires, dit-il, en s’efforçant à la rudesse, on m’a désigné pour votre chef. Peu me chaut ce que vous pensez de moi, de ce pas d’armes et de l’homme qui l’a voulu. Pour mon entendement, c’est un piège…
– Nous en sommes d’accord, dit un barbu d’environ trente ans coiffé d’une cervelière à plumet. On nous a promis quelques poignées de pièces d’or. Vainqueurs ou vaincus, elles nous seront comptées à la fin de ce déduit et c’est pourquoi nous en sommes.
– C’est tout simple, pas vrai ? enchérit un jeunet à face poupine. Je suis Keroual, de Brest, et lui qui vous a parlé en premier, c’est Quintin, de Loudéac.
Un autre se présenta. Breton lui aussi, Tristan ne s’y trompa point : il ne connaissait que trop leur hautaineté.
– Je suis Le Nizery, de Lannion.
Gros et court sur pattes, le visage bouffi et l’air impitoyable, il ressemblait à quelqu’un.
– Étiez-vous en Espagne avec Guesclin ?
– Ah ! non, protesta le barbu. Nous, on est à Clisson mais on est restés à Bordeaux. C’est messire Olivier qui nous a demandé d’être de la partie. C’est lui qui nous guerdonnera quand ce sera fini.
Ils se battraient non pour la satisfaction de vaincre mais pour une récompense que certains, sans doute, ne percevraient point.
– Je suis Frescourt, dit un maigre à visage vérolé. Lui, à dextre, c’est Dutilleul et lui Bergeaud. On s’est fait prendre du côté de Chierbouc et comme on peut pas payer, vu qu’on est des manants, Édouard nous garde comme fienterons de ses écuries. Il nous a promis la fin de notre otagerie si on gagne.
– Édouard est du côté des Mahoms, pas du nôtre.
La remarque de Tristan fut sans effet. Il se tourna vers le dernier des sept. Son corps était traversé des frissons d’une peur qu’il ne cherchait ni à vaincre ni à dissimuler.
– Arnaud Fondecave. De Lyon… Je tiens mieux la scalpelle que l’épée car je suis un mire.
Il était barbu comme Quintin mais ses poils étaient blancs bien qu’il fût assez jeune. Son regard était las, sa taille maigre. Un chapel de Montauban aux clinques 159 rouillées le coiffait. La guerre et ses tueries devaient lui répugner.
– Pourquoi êtes-vous là ?
– Pour gagner ma liberté si je survis. J’ai été captivé lors de la venue du prince en Langue d’Oc. J’y étais de passage, invité par un ami chirurgien du côté de Lavaur : Rabastens… Nous revenions tous les deux de Saissac où nous avions passé quelques jours chez un confrère lorsqu’une avant-garde nous a pris. Mon ami fut occis parce qu’il se défendait. Moi, j’ai levé les bras. Ils m’avaient promis la liberté si je guérissais la gangrène d’un de leurs
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