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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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embarbent étoufferaient leurs voix !
    Aucun rire ne souligna cette repartie. Tristan, après un moulinet, porta Teresa sur son épaule. Ainsi, à Castelreng, il partait à la pêche aux truites, et sa gaule était à peine plus longue qu’une lame.
    « Qui m’affrontera ou qui dois-je affronter ? Chandos qui n’a qu’un œil, ce qui m’avantagera ? Non. Audeley ? Non… Auberchicourt ce gros morpoil à la barbe en jachère ? »
    Solide et carré d’épaule, placide comme un taurillon, cet homme-là ne laissait pas d’être redoutable. Il secouait parfois sa pavoisienne comme pour en estimer le poids. Il faudrait le percer. Comment ? Mailles treslies et sans doute entre chair et fer, un gambison de cuir plus épais que sa couenne. Il était passé maître à ruiner, embraser, occire. Peut-être, après tout, était-il vulnérable.
    Chandos et Auberchicourt échangèrent leur place, de sorte que le gros malandrin fut le premier de la file des Mahoms. Il y demeura droit, immobile et hautain. De part et d’autre du nasal abaissé, seuls ses yeux fureteurs exprimaient de la vie.
    Une trompe sonna. Aussitôt, à l’instigation du maréchal de lice et sous les regards des hérauts et des juges, les deux files de combattants convergèrent l’une vers l’autre pour se trouver réunies devant le prince Édouard.
    Il se leva non sans peine et s’appuya au garde-fou de l’échafaud d’où son ventre déborda entre deux écus à ses armes suspendus à des crocs enrubannés.
    « Un tonneau », songea Tristan. « Un baril… Mieux encore : ce que Pèdre appelait un foudre de guerre. Gonflé comme il est, il ne peut approcher sa dame Jeanne… Il n’y a qu’une seule façon de l’investir. Qu’elle se retourne et que… »
    Il croisa le regard du prince et l’on eût dit qu’il avait deviné l’essentiel d’une méditation toute à son désavantage.
    « Il ne me surprend pas, monseigneur, que ton épouse ait d’autres vuiseuses 164 en tête… Tu me défies et veux ma mort. C’est ton droit. Mais même si j’ai grand mal à mon épaule, je vais te montrer qui je suis ! »
    Immobile, froid, royal avant terme, l’héritier du trône d’Angleterre se réjouissait déjà de son trépas. Son œil bleu ruisselait d’aversion, sa bouche mi-close frémissait sur un hurlement retenu ou des injures mortifiantes. Bien qu’il fit grand soleil, la clarté de ce dimanche malsain parut soudain lugubre à Tristan, le champ clos jonché d’embûches et l’air vicié. De sombres pressentiments l’assaillirent.
    « Cet homme veut ma perte… À Cobham, il m’était aisé de l’occire et monseigneur Charles m’en eût peut-être guerdonné 165 . Je l’ai respecté. Il ne m’en sait nul gré… ni d’ailleurs son épouse… qui peut-être aussi, le voyant tel qu’il est maintenant, regrette que je l’aie épargné ! »
    Tristan se secoua autant que le lui permettait son haubert.
    – Monseigneur, dit-il en s’inclinant un peu, vous avez voulu ce pas d’armes. Dieu seul sera notre juge… sans vouloir faire offense à ceux qui sont présents.
    – Je vous approuve… pour cette fois.
    Une gêne commune les tenait immobiles. La haine du prince avait atteint sa toute-puissance pour détruire impitoyablement ce qui restait de sain dans son visage : la peau, la bouche contournée par les pinceaux de la moustache dorée, le regard, la fermeté du menton. Or, telle était la pénétration du regard du Français que, dans sa pimélose 166 même, Édouard en sentait l’atteinte et qu’une gêne subite lui fit rectifier sa pose pour la rendre des plus quelconques : il croisa les bras, et bien qu’il voulût se cambrer, le poids de ceux-ci sur son ventre douloureux sans doute le fit se pencher en avant plus encore. Ce fut la vision courte et grotesque d’une sorte de figure de proue des nefs de haute mer.
    – Messire Castelreng, ce n’est point la nuit comme lors de votre incursion à Cobham un millier de bonnes gens et moi-même vous voient venir !
    « Il me voudrait lober et ramposner 167 sans pouvoir s’y résoudre : il est un prince et je ne pourrais l’affronter que lors d’une grande bataille. Or, il sait qu’il n’y participera plus l’épée en main. »
    Tristan revenait vers ses alliés lorsque, d’autorité, laissant Auberchicourt s’entretenir avec son suzerain, il se rendit devant les dames en regrettant de ne pas être à cheval, une lance à la main, selon la

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