Le pas d'armes de Bordeaux
Nous allons leur courir sus. Ils ne s’y attendent pas. Frescourt, Bergeaud et Keroual, avec Paindorge, courrez à mon clam 172 contre Chandos et Auberchicourt, à notre dextre. Quintin, Le Nizery et moi-même courrons à senestre. Il nous faut briser vélocement ceux qui sont entre Audeley et ce gros fumeux d’Auberchicourt… que je me réserve. Nous détruirons leur conroi 173 . Une fois dispersés, nous les vaincrons aisément. Je n’ai pas cru devoir prendre mon écu. Faites, vous, à votre guise.
Peut-être dispensait-il ces explications avec trop de hâte. Mais quoi ! Hormis un mire apeuré, il avait avec lui neuf hommes aguerris, et c’était leur intérêt même que de lui obéir. Si les dix faux Mahoms les prenaient en tenaille, leur défaite serait acquise. S’ils les ébahissaient et dispersaient les plus faibles d’entre eux, ils pourraient triompher.
Des trompettes à bannières de taphetas rouge et or sonnèrent, sonnèrent encore.
– Ils ne changent pas leur convenant 174 , mes compères. Il est temps de les surquérir 175 , Montjoie-Saint Denis !… Dieu nous aide !
Le clam des rois de France devant un prince anglais ! L’avait-il entendu ?
Dix foulées, peut-être moins. Une ruée à laquelle les venants , trop sûrs de leur victoire, ne s’étaient point attendus.
Déjà, Paindorge avait entraîné ses compagnons en direction de Chandos et d’Auberchicourt. Déjà. Tristan atteignait lui aussi le routier qui hurla, se voyant assailli par deux hommes.
Audeley, après un moment d’incertitude, s’élança au secours de son ami. Dès lors, la mêlée fut confuse. Les aciers se heurtèrent dans un fourmillement de tranchants, les uns courbes comme des faucilles, les autres droits. Tristan affronta le Wallon avec tout l’irrespect et la fureur dus à un membre de la famille royale d’Angleterre.
– Laisse ! cria-t-il à Paindorge qui voulait l’assister.
Et il fut seul à seul avec le malandrin.
On eût dit vraiment un Maure. Il en avait coiffé la coupole de fer damassé surmontée d’une longue pointe, pourvue d’un nasal mobile, orfèvre, complétée par un camail de fins anneaux de cuivre. Son manteau de mollequin blanc donnait une ampleur terrifiante à ses gestes, tandis que son badelaire sifflait à chaque coup de banderole, seul mouvement qu’il pût accomplir ainsi armé. Sa pavoisienne déjouait promptement les coups. Le croissant d’argent sur fond de sinople s’écaillait et se bosselait sans pourtant qu’aucun horion ne le fit tomber.
« Fier-à-Bras ou Marsille 176 ?… Il me faut le meshaigner comme il a meshaigné tant d’hommes, de femmes, d’enfants ! »
Indifférent aux cris, jurons et heurts des autres armes, Tristan frappait, taillait à deux mains, les yeux dans ceux d’Auberchicourt puis sur son badelaire et dans ses yeux encore. Il ne voyait qu’eux dans ce visage tavelé de rouge et parfois grimaçant. Différait-il ou manquait-il un coup qu’il se jugeait sans in dulgence tout en reculant pour fournir un meilleur assaut. Il tremblait dans ses fers et fondait en sueur. La douleur engourdie dans son épaule commençait à s’éveiller. Bientôt, elle serait si furibonde que ses mouvements perdraient leur âpreté, leur aisance, leur célérité. Il envisageait le pire : un taillant inattendu et fatal. Comme répercutés par le silence de la foule entrecoupé de « Oh ! » et de « Ah ! », les cliquetis des armes et les ahans des hommes accompagnaient ses imprécations intérieures. Il fallait triompher. Extirper de soi-même tous les trésors du maniement de l’épée tolédane, toutes les fureurs, toutes les volontés. Ses vœux de liberté le devaient secourir !
« Ce que tu fais là n’est pas pire qu’à Brignais, Poitiers, Nâjera où tu comptas trois et parfois quatre ennemis contre toi !… À un contre un, le péril est moindre. Ce faux Saladin n’est pas invincible ! Ton honnêteté doit triompher de son vice ! Tu es un Castelreng !… Sois digne de ton nom ! »
La lame d’Auberchicourt fouetta l’air à deux pouces d’une tête trop penchée, mais prompte à la reculade tandis que la mêlée, à l’entour, devenait confuse et que Paindorge s’écriait : – Et d’un !
Que faisaient les autres ?
Cette fois le badelaire heurta le heaume et le heurt vibra jusqu’au fond des oreilles d’un Tristan abasourdi. Il tenta de rendre ce taillant tout en poussant un cri de rage, mais
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