Le pas d'armes de Bordeaux
hélas ! Fondecave.
– Messires ! Messires !… Cessons, par la Mort-Dieu !… Nous ne sommes pas à la bataille.
Tristan sentit son hurlement s’évanouir dans la clameur de la foule.
– Messires ! Messires !… Nos armes ne sont point émoussées.
Il s’époumonait d’autant plus exagérément que son épaule s’embrasait. Aucun doute : la plaie béait, ses muscles à vif se consumaient – ou quelque chose de plus terrible : ils devenaient charpie, sciure, bouillie. Il vit Audeley abandonner le combat contre Paindorge.
L’épée basse, l’écuyer se tourna vers le seuil du château, ce que voyant, l’Anglais l’assaillit dans le dos.
Tristan bondit et renversa le félon inattentif à sa venue de toute la fureur de son épaule valide. Ils roulèrent ensemble sur le sol.
– Goddon ruin !… Forfante !… Il te va bien d’être un Sarrasin !
Il avait dessaisi Teresa. Il tordit la main de l’Anglais jusqu’à ce qu’il eût désempoigné son arme et s’agenouilla sur sa poitrine.
Audeley voulut le repousser. D’une bourrade, Tristan le priva de sa cervelière et lui martela le front, le nez, le menton de ses gantelets jusqu’à ce qu’un jus rouge en sourdît.
Audeley se leva d’un effort gigantesque et ses poings ferrés, eux aussi, s’abattirent sur la poitrine du Français, debout, espérant le précipiter à terre.
Ils grognaient, hurlaient, n’étant plus que deux fauves dont la vigueur fondait goutte à goutte. En reculant pour éviter un taillant de Chandos, Paindorge heurta Audeley mais se garda de s’en soucier se retourner, c’était périr.
« Mauvais homme ! Que pourrai-je lui crier ? Il me frappe et use ses forces, mais il cogne dur ! » Et soudain, quelques mots entendus de Luciane alors que le plaisir tardait à lui venir :
– When you have finished, I’il sing 178 !
La foule, elle, jouissait mauvaisement. À la furie des tenants exaspérés par la continuation du jeu mortel répondait le courroux des nobles dames dont les époux gisaient ou vacillaient dans l’herbe. Tristan les imaginait debout, angoissées. Certaines gesticulaient : elles se défendaient, elles aussi, au prix d’efforts véhéments, contre ces deux Français et leurs suppôts. Ils les humiliaient en dominant leurs hommes. Il devinait, haletant, proche de cette enragerie déchaînée, serein et superbe dans son adiposité souveraine, le Néron de l’Aquitaine. Et aussi deux femmes qui se donnaient la main pour une passassion de force : dame Auberchicourt et dame Audeley.
« Elles me haïssent ! »
Cette ivresse de la fureur, vivifiée de voix en voix, augmentée de geste en geste, il la ressentait au plus profond de ses entrailles. Il l’absorbait par la bouche, les yeux, les oreilles. Il la faisait sienne et devenue, par sa volonté, d’une sobriété de plomb, il frappait Audeley, frappait, percutait encore cet homme qui semblait enraciné au sol.
Il l’abattit d’un coup d’épaule. La coupole mauresque tomba, révélant une chevelure abondante. Il l’empoigna par la senestre tandis que de sa dextre, il frappait au visage.
Audeley lui rendit un coup qui glissa sur le heaume branlant.
– Maudit chien de Français ! Tu ne quitteras pas Bordeaux. Là sera ta tombe !
– Moi, je t’épargnerai pour que la vergogne ronge ton cœur toute ta vie !
La douleur de l’épaule devenait effrayante. Tristan se redressa, les poumons en haillons. Il fallait qu’il prit du champ pour revenir à l’attaque. Il vit Audeley venir sur lui, titubant, ployé, lui aussi, par la souffrance.
Il recula jusqu’à toucher Chandos de l’épaule, mais l’Anglais n’avait qu’un œil. Ami ? Ennemi ? Il ne le sut.
– Le voilà qui en veut encore !
Tristan lança, sur la face de l’Anglais, un poing qu’il souhaitait formidable. Il sentit les cartilages du nez s’écraser sous sa poussée tandis que du sang rougissait, les anneaux de ses phalanges. Une douleur sans précédent partit de ses doigts pliés pour remonter jusqu’à son coude.
– Tu l’as voulu !
Audeley chut en arrière, le souffle tout aussi brisé que son nez. Ses yeux, ses mains cherchèrent son badelaire. Tristan penché sur lui le menaça de ses poings :
– Je puis frapper encore. Au nom de Dieu, de saint Georges et de saint Michel, faites cesser ce déduit qui ne merveille que votre prince !
Audeley se leva au prix d’un grand effort. Il tituba jusqu’à
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