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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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vivre une existence austère. Personnage doué de pensée, de mémoire et d’un orgueil aussi durable que ses pierres, il eût pu prendre pour devise : se suffire à soi-même et défier le temps.
    « Les hommes également », songea Tristan.
    Aucun d’eux, depuis fort longtemps, n’était monté à la rencontre de ces grands murs : la hauteur et le foisonnement des plantes l’attestaient. Rechignac n’inspirait qu’un sentiment ou plutôt deux, indivisibles : la crainte et le respect.
    – Guillaume en était fier.
    Tancrède répugnait toujours à dire : «  Mon père. » Guillaume était à la fois, dans sa bouche, plus familier et plus distant.
    – Il pouvait être fier d’un tel asile, dit Tristan tout en essayant de mener Malaquin hors des ronces. Je comprends pourquoi Robert Knolles, à le vouloir conquérir, a perdu vainement tant d’hommes.
    Plus il s’en approchait, plus il le contournait en s’élevant vers lui, plus il se merveillait de la rudesse de ce titan, de ses formes tours, donjon, courtines -, de la couleur bistrée de ses murailles auxquelles il ne manquait que cinq ou six merlons. Sous le ciel tourmenté d’une journée pesante dont le soleil se retirait sans hâte, il avait la vision d’un haut lieu digne de ses lectures. Non pas le Camelot d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde, ni le Karak de Renaud de Châtillon mais celui de Raimondin et Mélusine ou le Châteaufort d’Ogier le Danois.
    – Il te plaît ?… Tu peux si tu le veux en être le seigneur.
    À quoi bon répondre. Tancrède savait bien que c’était impossible. Tristan usa d’un alibiforain 192  :
    – S’il n’y avait pas eu la pestilence noire qui les a tous occis, les gens du hameau seraient venus céans chercher des pierres pour rebâtir leurs maisons.
    – La morille a protégé ce château mieux qu’une armée, dit Paindorge que la proposition de Tancrède inquiétait.
    Le pont-levis était baissé. Avant de le franchir, Tristan abandonna Malaquin à l’écuyer. Il alla taper du pied les traverses de chêne du tablier. Le bruit de ses talonnades tomba dans le fossé empli d’herbes et d’épiniers d’où jaillirent bruyamment quelques oiseaux : pigeons, corbeaux et freux ainsi que quelques merles. Il se tourna vers Tancrède :
    – Nous pouvons avancer. Le bois n’a pas souffert.
    Il s’enfonça sous la voûte charretière. Il serrait fermement la prise de Teresa tout en sachant que ses craintes étaient vaines : Tancrède allait trouver son sanctuaire vide comme ces coquilles d’œufs rompues qui, çà et là, jonchaient les herbes ainsi que de gros yeux atteints de cécité.
    Tenant John par la bride, elle allait lentement. Dominé par une humilité simple et profonde, son émoi lui faisait les joues rouges et la bouche pincée. N’osant trop l’observer, Tristan porta son intérêt sur les murs gris, les charpentes desséchées des toitures striées de brèches profondes, le tas de lauzes d’une étable effondrée sous les assauts des vents et des orages, la flèche penchée de la chapelle dont la croix disgraciée gisait au sol.
    Aussi haut et puissant que celui de Puivert, le donjon était ceint d’une douve sèche dont le fond disparaissait sous des ronces. Dans son ombre étirée par le soleil sur son déclin, il y avait un puits sous trois chênes rouvres ; sur sa margelle moussue, craquelée, poussaient des joubarbes et des pariétaires. Toutes proches, des pierres réunies en cercle et noircies par des fumées révélaient que des hommes avaient trouvé dans l’enceinte la protection d’une nuit ou de quelques jours.
    – On a certainement détruit les meubles, dit Tancrède, mais la pierre a tenu bon.
    Tristan acquiesça. Quelque rassuré qu’il parût, il craignait des déprédations dans tous les logis, des sacrilèges dans la chapelle : toutes choses immondes mais remédiables pourvu qu’on fût une cinquantaine d’hommes et de femmes décidés à restituer au titan sa propreté, sa dignité – sa noblesse. Car il avait été propre, digne, noble. Il avait résisté, en 1345, à un long siège des armées de Robert Knolles et il avait fallu un combat de champions – trois contre trois – pour que les envahisseurs fussent contraints de renoncer à leur conquête. Ogier d’Argouges y avait été vainqueur d’un mercenaire de l’Anglais.
    Tancrède, muette et pour une fois tête basse, songeait-elle à cet événement auquel elle avait

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