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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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assisté ? Fille donnait parfois un coup de pied dans des pierres, vestiges d’anciens moellons fracassés par les pluies, les grêles. Des fragments devenus cailloux avaient résisté à la destruction ; d’autres saupoudraient le sol en longues traînées blanchâtres et l’on eût dit qu’il y avait peu, des maçons avaient gâché çà et là du mortier de chaux.
    – Viens, Tristan. Laissons nos montures à Robert.
    Paindorge s’inclina cérémonieusement. Elle le remercia d’un petit signe de la main et comme ses yeux s’embuaient, Tristan eut de la compassion pour cette abandonnée malade de souvenirs et qui jamais, en ces lieux, ne recouvrerait la guérison qu’elle espérait y trouver. Quelque courage et détermination qu’il lui connût, elle ne pourrait revivre en ces murailles. Sans être hostiles à qui que ce fût, elles ne pouvaient que se montrer indifférentes à celle qui en était la juste héritière. Y pensait-elle ? Oui, sans doute, car elle révéla, tête basse, toujours :
    –  Mon père voulait me marier. C’était la seule façon pour que Rechignac vive après sa mort… Te rends-tu compte ? Moi, toute jeune, le ventre gros d’un enfançon… Peut-être successivement plusieurs… Moi, m’ouvrant à un homme pour lequel je n’aurais eu que répugnance… Souillée par ses humeurs et ses béatitudes… Toi, tu n’es pas pareil. J’aime que tu m’étreignes… et tu connais mes goûts.
    Tristan ne disait mot. Tancrède lui devenait transparente. Il la discernait mieux dans ses ardeurs, ses tréfonds, ses appétits, ses nonchaloirs. Elle lui avait offert son corps ? Elle lui ouvrait son âme.
    Ils franchirent le petit pont qui enjambait la cunette du donjon. Il leur fallut en pousser l’huis de leurs épaules. Ils virent sur le sol quelques étrons séchés cependant que des rats fuyaient vers des ténèbres profondes. Tristan leva les yeux vers l’entrée du tinel 193 de part et d’autre de laquelle on avait érigé deux figures de pierre.
    – Guillaume et son épouse, Guiboure, ma mère.
    Encore une fois, ce Guillaume au lieu de Père.
    –  On les a respectés, dit Tristan, lui-même envahi par une sorte de déférence devant ces solennels gardiens qui longtemps encore, sans doute, accueilleraient les visiteurs et les fantômes et défieraient les années. Le baron tenait son heaume d’une main et son épée de l’autre. Son visage osseux, énergique, eût pu être tourné vers son épouse, une dame aux rondeurs opulentes. Or, il regardait farouchement à l’opposé. Quant à elle, par-delà le faucon agriffé à son poing, elle observait son mari d’une façon presque craintive. Un chien sommeillait dans les plis de sa robe.
    – Je ne l’ai pas connue, dit Tancrède. Morte en couches… Si elle avait vécu, je serais différente. J’aurais un autre nom et ressemblerais à mon ains-née : Claresme… J’aime mieux être celle que je suis.
    Tristan n’eut pas le cœur de la désapprouver. De la hanche, il poussa la haute et large porte par laquelle on accédait au tinel. Les grands couplets de fer aux charnières énormes obéirent à sa pression en grinçant.
    – Les gonds se lamentent, dit Tancrède tandis que le bruit ricochait sur les parois où coulaient par endroits les derniers feux du soir. Viens, montons.
    Main dans la main, puis l’un après l’autre, ils s’engagèrent dans l’étroit escalier par lequel on accédait au sommet du donjon. Il fallait lever haut les genoux pour enjamber les degrés poudreux. Quelques rayères fournissaient de loin en loin, dans cette vis aux murs luisants de frottements anciens, une lumière parcimonieuse, et Tristan, repoussant les toiles d’araignée frémissantes, voyait sur les pierres, à différentes hauteurs, les éraflures laissées par les bouterolles des épées et les griffures qui étaient comme les paraphes des armes d’hast des soudoyers.
    Le vent des hauteurs les saisit avant même qu’ils fussent sortis de la guette où aboutissait l’escalier. Ils s’approchèrent du crénelage et dominèrent les ruines et les parties saines de la forteresse. Tancrède regarda, au-delà, les grosses collines brucqueuses 194 et les montagnes couleur d’ardoise sous le ciel barbouillé de sang et de suie.
    – Je venais là chaque jour. J’y prenais les dimensions de mes espérances.
    La bourrasque les enveloppait dans ses plis. Ses gémissements suraigus semblaient ceux des morts de toute la

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