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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Certains sont dans mon cœur comme dans une fierte (394) .
    Il avait éprouvé parfois ce sentiment d’attachement, de proximité, d’intimité tiède encore avec les disparus. À l’affût d’une diversion, il regarda tout en bas, devant les tours portières, Paindorge actif et mélancolieux occupé à desseller John.
    – Il gardera le château, dit Tancrède. Nous irons demain à Excideuil. J’y trouverai bien une ou deux meschines, peut-être un ou deux couples. J’ai un bissac plein d’or, adoncques de quoi payer. Ils se décideront. Je leur ferai largesse.
    Rien n’était plus incertain. Elle le savait, mais elle avait besoin de fortifier son esprit par toutes sortes d’espérances. Quant à cet or, peu importait la façon dont elle se l’était procuré.
    – Sais-tu que si Ogier m’avait dit, quand nous nous sommes retrouvés à Ashby et que j’ai juré devant lui à Guillaume, mon père…
    Cette précision apparemment lui coûtait. Elle recoiffa son chaperon jusque sur ses oreilles afin qu’il résistât au vent. Ses cornettes flottèrent. Elle en prit une dans chaque main et tira dessus. Le rebord de la coiffe affleura ses sourcils.
    – … juré de revenir à Rechignac, dit-elle enfin avec la même résignation, sans doute, que le jour de ce serment. Oui, si Ogier m’avait promis : «  J’y reviendrai aussi et nous vivrons ensemble  », eh bien, je l’aurais rejoint ou attendu dans ces murs.
    – Ah ! fit Tristan. Mais il était marié.
    Lâchant une de ses cornettes, Tancrède balaya cette objection.
    – J’ai compris, le voyant, qu’il était mal heureux.
    Même si l’union d’Ogier et de son épouse avait été un échec, était-ce une raison pour que le chevalier normand détruisît ce sacrement ?
    « Et moi », se dit Tristan, « qu’ai-je fait depuis que j’ai quitté Luciane ? Que fais-je en ce moment ? »
    Infidèle de corps mais fidèle de cœur ? Du moins voulait-il qu’il en fût ainsi.
    – Tu peux être heureuse, Tancrède. Et tu sais te passer des services des hommes.
    Dans cet espace aux parois épaisses, inviolables, se trouvait réuni tout le nécessaire d’une existence seigneuriale. Le tangible et l’immatériel s’y tenaient compagnie. Ils offraient à cette aventureuse une quiétude spéciale, étrangère à tout ce qu’elle avait éprouvé : un royaume neuf, incomparable.
    – Je te conseille de ne pas trop busner 196 .
    Mais elle était ailleurs.
    – Ogier ! hurla-t-elle comme si le défunt la pouvait ouïr du fond de sa tombe. Comme s’il était trop éloigné lors d’une chasse et tardait à lui revenir.
    Tristan ne s’attendait pas, dans ce grand panthéon de pierre, à entendre ce nom éperdument jeté au vent du soir. Un nom vibrant, livré à l’infini ; un nom vivant chargé d’une gloire blafarde, naguère composée d’héroïsme et de courtoisie, de rigueur et de mansuétude. La sublimité de l’homme et du chevalier. Était-ce Ogier que Tancrède voulait presser dans ses bras sitôt qu’elle mouchait les chandelles ?
    – Viens, dit-il, Robert a débâté la mule. Rejoignons-le.
    Tandis qu’il descendait les degrés en écartant le givre des araignées et des poussières, Tristan songea tout à coup à la dame de Montaigny. Il avait dû la besogner à contrecœur. Tancrède n’était pas ainsi pour le moment. Hardie, voluptueuse ou docile et suave, il se pouvait, hélas ! qu’elle se montrât, dans l’arrière-saison des amours, aussi possessive que la défunte Mathilde. Alors, évidemment, il ou on la désaimerait. Cette humi liation engendrerait chez elle une rancœur qui se dévoierait en haine. La raison s’opposait à cette conjecture. Et pourtant…
    – Viens, dit-elle encore sitôt dehors.
    Tristan se laissa mener à la chapelle. Derrière un rempart de ronces et de chardons, la porte en était mi-close.
    – Non, n’entrons pas ce soir. Nous le ferons demain.
    De son pied, Tancrède toucha la croix de pierre brisée, verdie par le sang des herbes.
    – Ils sont tous morts. Blanquefort, le dapifer 197 de Guillaume ; Guillaume que Lionel de Dartfort a meurtri devant moi dans le champ clos d’Ashby ; Ogier trépassé en Espagne. Pourquoi Dieu les a-t-il abandonnés ? Pourquoi les a-t-il éparpillés ?… Je les sens pourtant à l’entour de moi comme lorsque j’étais une jouvencelle ingrate, effrontée… effrénée. Je leur survis… Est-ce un miracle ? Je ne sais trop ce qu’ils

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