Le pays des grottes sacrées
insensiblement
en son sein, jusqu’à ce qu’elle en soit complètement enveloppée. Puis la brume
s’épaissit en un brouillard dense obscurcissant toute vision, avant de devenir
un nuage lourd, chargé d’humidité. Elle eut l’impression d’être littéralement
absorbée par la nuée et se mit aussitôt à suffoquer, essayant de toutes ses
forces de respirer, d’avaler de grandes goulées d’air frais, avant de sentir
qu’elle commençait à se mouvoir.
Au milieu du nuage suffocant, ses
mouvements se firent de plus en plus vifs, au point qu’elle en eut très vite le
souffle court, avant qu’il ne soit carrément coupé. La nue s’enroula
littéralement autour d’elle, la comprimant, la poussant de tous côtés, se
contractant, se relâchant avant de se comprimer à nouveau, comme quelque chose
de vivant. Ce qui la contraignit à bouger avec une vélocité redoublée jusqu’à
ce qu’elle finisse par tomber dans un espace sans fond, vide, d’un noir absolu
comme au plus profond d’une grotte, un noir infini, terrifiant.
C’eût été moins terrifiant si
elle avait tout simplement sombré dans le sommeil, dans l’inconscience. Ceux
qui observaient la scène pensaient que c’était le cas, mais il n’en était rien.
Elle ne pouvait plus bouger, et n’en avait d’ailleurs aucune envie dans les
premiers instants, mais lorsqu’elle tenta de mobiliser toutes les forces de sa
volonté pour bouger quelque chose, ne fût-ce qu’un doigt, elle en fut
incapable. Elle ne pouvait même pas sentir ce doigt, ou toute autre partie de
son corps. Elle n’avait même pas la possibilité d’ouvrir les yeux, ni de
tourner la tête. Elle était dépourvue de toute capacité d’exécution. Mais elle
restait capable d’entendre. À un certain niveau, elle était consciente. Comme
venant de très loin, et pourtant avec une absolue clarté, elle pouvait entendre
les chants de la Zelandonia, les murmures de voix dans un coin de la salle,
sans toutefois comprendre ce qui se disait. Elle était même capable d’entendre
les battements de son propre cœur.
Chacun des doniates avait choisi
un son, un ton, un timbre qu’il était en mesure de conserver confortablement
durant un laps de temps assez long. Lorsqu’ils souhaitaient chanter de façon
continue, plusieurs d’entre eux lançaient leur voix. La combinaison pouvait se
révéler harmonieuse, ou non, selon les cas, mais cela importait peu. Avant que
le premier soit hors d’haleine, une autre voix prenait le relais, puis une
autre, une autre encore, à intervalles irréguliers. Cela donnait une sorte de
vrombissement, une fugue faite de tons entremêlés qui pouvait se prolonger
indéfiniment pour peu qu’il y eût suffisamment d’intervenants à même de
permettre à ceux qui étaient contraints de s’arrêter un moment de souffler un
peu.
Pour Ayla, c’était un bruit de
fond réconfortant, mais qui tendait à disparaître à l’arrière-plan, tandis que
son esprit observait des scènes qu’elle seule était en mesure de voir derrière
ses paupières closes, visions présentant l’incohérence lucide de songes
terriblement pénétrants. Elle avait le sentiment de rêver éveillée. Au début,
elle ne cessait de se mouvoir à un rythme de plus en plus accéléré dans
l’espace obscur ; elle le savait, bien que le vide demeurât immuable. Elle
était terrifiée, et seule. Douloureusement seule. Et dépourvue du moindre sens,
goût, odorat, ouïe, vision, toucher, comme s’ils avaient disparu à jamais. Seul
demeurait son esprit conscient, hurlant sa terreur.
Il s’écoula une éternité. Puis,
très loin, à peine discernable, apparut un faible éclat de lumière. Elle tendit
la main pour l’atteindre, de toutes les forces qu’elle était capable de
mobiliser. N’importe quoi était préférable au néant absolu qui l’entourait. Ces
efforts accélérèrent encore sa vitesse, la lumière se dilata, jusqu’à devenir
une tache aux contours imprécis, à peine perceptible, et l’espace d’un moment
elle se demanda si son cerveau était capable d’influer sur l’état dans lequel
elle se trouvait. La lueur indistincte s’épaissit jusqu’à devenir une sorte de
nuage, moiré de teintes insensées, des couleurs aux noms inconnus, qui ne
semblaient pas de ce monde.
Elle sombrait dans le nuage, le
traversant à une vitesse de plus en plus grande, jusqu’à ce qu’elle tombe par
le fond. Un paysage étrangement familier s’offrit
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