Le pays des grottes sacrées
restait de son contenu, s’assurant de boire
tout le suc, jusqu’à la dernière goutte, afin que plus personne ne puisse en
absorber « pour voir ». C’était en effet comme cela qu’elle avait eu
des ennuis, la première fois : Iza lui avait dit qu’il ne devait pas en
rester, mais elle en avait préparé un peu trop, or, après y avoir goûté, le
Mog-ur avait constaté que le produit était trop fort. Il avait alors
soigneusement contrôlé la quantité absorbée par chacun des participants à la
cérémonie et en avait laissé un peu au fond du bol. Alors qu’elle en avait déjà
absorbé une quantité non négligeable en mâchant la racine, et qu’elle avait bu
en outre un peu trop du liquide réservé aux femmes, Ayla avait récupéré le bol
un peu plus tard et, l’esprit déjà confus, avait avalé jusqu’à la dernière
goutte ce qui restait au fond. Cette fois, elle allait veiller à ce que
personne ne soit tenté d’en faire autant.
— Quand faudra-t-il nous
mettre à chanter pour toi ? demanda la Première.
Ayla avait presque oublié cette
phase de la cérémonie.
— Cela aurait dû commencer,
dit-elle, d’une voix déjà légèrement pâteuse.
La Première commençait elle aussi
à ressentir les effets de la décoction dont elle avait absorbé une bonne
rasade, et c’est en s’efforçant de contrôler sa voix et ses gestes qu’elle fit
signe aux membres de la Zelandonia qu’ils pouvaient se mettre à chanter. Cette
racine est décidément très puissante, se disait-elle, et encore, je n’en ai bu
qu’une gorgée… Je me demande ce que doit ressentir Ayla après tout ce qu’elle a
absorbé.
Le goût de la décoction avait
paru familier à Ayla, lui rappelant des sentiments qu’elle n’était pas près
d’oublier, souvenirs, associations d’idées évoquant les fois précédentes où
elle avait goûté au liquide, en des temps désormais fort lointains. Elle avait
le sentiment de se retrouver dans la fraîcheur et l’humidité d’une forêt
profonde, comme si celle-ci l’enveloppait de toutes parts, avec des arbres
tellement larges qu’elle avait du mal à en faire le tour et à trouver un chemin
au milieu d’eux alors qu’elle gravissait la pente abrupte d’une montagne,
suivie par sa jument. Des lichens d’un gris-vert argenté recouvraient les
arbres, la mousse tapissait le sol, les rochers et les troncs d’arbres abattus,
symphonie éclatante regroupant toute la palette des verts, de l’émeraude au
jade en passant par des teintes plus sombres, virant au brun, du plus cru au
plus tendre.
Lui montaient aux narines des
odeurs de champignons, de toutes tailles et de toutes formes : fragiles
chapeaux blancs surgis sur les innombrables troncs d’arbres tombés à terre,
épaisses couches ligneuses accrochées telles des étagères à de vieilles souches
pourrissantes, pédicules frêles et délicats surmontés de bulbes brun
sombre ; il y avait çà et là des amas d’espèces toutes différentes :
sphères rondes et compactes, chapeaux d’un rouge vif piqueté de points
blancs ; bulbes lisses et pourrissants, corolles d’un blanc parfait
annonciateur pourtant d’une mort violente. Elle les connaissait tous, les
tâtait tous, les goûtait tous.
Elle se retrouva dans le delta
sans limites d’un fleuve immense, emportée par le courant violent,
irrésistible, d’une eau d’un brun boueux, se frayant un passage au milieu de
faisceaux de roseaux d’une taille gigantesque, d’îles flottantes recouvertes
d’arbres auxquels des loups s’efforçaient de grimper, tournoyant telle une
toupie dans une petite coquille de noix ronde, montant et descendant comme si
elle flottait sur un coussin d’air.
Ayla ne savait pas que ses genoux
l’avaient lâchée, qu’elle était devenue toute molle et était tombée à terre.
Plusieurs Zelandonia la prirent sous les bras et la traînèrent vers une natte
que Zelandoni avait eu l’idée d’apporter dans la caverne en prévision d’une
urgence. En se mettant en devoir de retrouver non sans mal son solide tabouret
en osier muni d’un bon coussin, la Première se prit à songer qu’elle aurait
bien aimé disposer elle aussi d’un endroit où s’allonger. Elle luttait pour
rester consciente, pour ne pas perdre Ayla des yeux, et sentait l’angoisse
commencer à naître quelque part dans un coin de son cerveau.
Ayla de son côté se sentait en
paix, tranquille, sombrant dans une douce brume qui l’attirait
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