Le petit homme de l'Opéra
passa pour un oui.
— Allons, remettez-vous, la seule chose qui compte en ce monde sens dessus dessous, c'est la capacité d'offrir de la joie et du bonheur à ceux que vous aimez.
— Je vous adore de me faire découvrir ces merveilles.
Djina effleura d'un baiser la joue de Kenji et s'échappa en riant vers le premier étage. Il demeura un instant immobile, ravi de l'audace de sa compagne, et lui emboîta le pas.
—C'est gigantesque, il doit peser une tonne ! s'exclama Djina en arrêt devant un bouddha en bronze haut de plus de quatre mètres. M. le conservateur est charmant de nous avoir permis d'admirer cette collection unique, c'est tellement agréable d'être les seuls visiteurs. Vous avez connu feu M. Cernuschi ?
— Oui, il était alors directeur de la Banque de Paris. Un féru d'art sino-japonais. Lors d'un voyage en Extrême-Orient, il a consacré son temps et son argent a réunir ces chefs-d’œuvre. Dans son testament, il les a légués avec son hôtel à la Ville de Paris. Bientôt, ce lieu deviendra un musée ouvert au public.
— Elle est magnifique ! dit Djina à la vue d'une peinture en hauteur dont l'une des extrémités présentait un cylindre autour duquel l’œuvre pouvait être enroulée.
— C'est un kakémono très ancien. Il représente Pen-Koum, un ardent chasseur de chauves-souris. On pourrait le comparer au saint Pierre des chrétiens, commenta Kenji. Sa passion est exploitée par les âmes impures qui désirent gagner le ciel. Elles se munissent de ces mammifères volants, Pen-Koum tombe dans le panneau, relâche sa surveillance et s'élance à la poursuite des chauves-souris, les âmes impures profitent de l'aubaine et pénètrent en fraude au paradis.
— Ce n'est pas moral.
— Croyez-vous qu'il se produise une amélioration instantanée du comportement des vivants lorsqu'ils passent de l'autre côté ?
Djina contemplait une vitrine où s'alignaient de délicats écrins laqués rouge et or.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Des inro . Des étuis, si vous préférez. Ils sont divisés en plusieurs compartiments destinés à recevoir des drogues, des herbes médicinales, du tabac ou de la monnaie. On les fixe à la ceinture par un netsuke , une mini-sculpture de fleur, de fruit, d'animal ou de personnage fantastiques.
Il l'attira contre lui et lui caressa la joue.
— Vous êtes lasse, ma chère, venez, je vous propose un moment de repos au grand air, ensuite nous irons dîner.
Ils abordèrent la sortie de l'avenue Velasquez et s'enfoncèrent sous les futaies du parc Monceau. Ils longèrent la colonnade circulaire entourant un bassin, admirèrent sans y entrer la grotte ornée de stalactites artificielles d'où jaillissait une cascade, franchirent le pont italien, souvenir du Rialto de Venise, et allèrent s'asseoir sous un bouquet d'arbres près d'une aire de jeux. Des bambins armés de pelles et de seaux édifiaient des pâtés de sable sous l'ail attentif de nourrices aux rubans multicolores, des fillettes jouaient aux quatre coins, des garçonnets lançaient leur cerceau dans les allées.
Djina serra le coude de Kenji, elle se sentait emplie de tendresse et d'énergie. Soudain, elle vit une silhouette danser sous une statue qui se trouvait à une dizaine de mètres. Elle découvrit avec étonnement que c'était un petit homme vêtu d'un pourpoint vert pomme et d'un pantalon à carreaux. Elle se dit que c'était probablement un gamin qui s'était déguisé en faune pour une fête d'école. Mais ce ne pouvait être cela, son attitude n'était décidément pas juvénile. Et voici qu'il se mit à chanter une curieuse mélodie :
Il était un p'tit homme
Qui s'appelait Guilleri
Carabi...
Lorsqu'elle était enfant, elle avait éperdument cru aux fées et aux divinités rustiques de la mythologie slave. Elle rendait grâce au Domovoï, l'esprit de la maison. Souvent, en cachette, elle coupait une tranche de pain et la mettait sous le poêle pour l'affriander. Son livre favori, illustré par Kate Greenaway 35 , l'entraînait au sein d'un monde exquis, qui lui paraissait tout à fait tangible. Elle affectionnait particulièrement les illustrations du Joueur de flûte de Hamelin .
Le petit homme lui souriait. Était-ce une hallucination ? Elle jeta un bref coup d’œil à Kenji. Il somnolait. Quelques couples se promenaient dans le jardin, les enfants s'amusaient, les nourrices tricotaient en papotant. Le petit être semblait aussi matériel et réel qu'eux. Elle
Weitere Kostenlose Bücher