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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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café où venait de pénétrer la reine Mab, Victor repéra la crinière flamboyante de Lambert Pagès. Son cou était toujours bandé. Il se leva pour l'accueillir. Ils commandèrent deux bocks et discutèrent avec animation pendant un long moment. Assis sur un banc, Victor se laissait guider par une rêverie axée sur l'appareil de projection à vendre. Brisée de fatigue, sa tête dodelinait sur sa poitrine. Un groupe de braillards le tira de sa léthargie. Il se redressa et constata que Lambert Pagès était seul. Il se propulsa dans une venelle ménagée entre deux carrousels. À l'autre bout, la reine Mab mouillait son bas filé d'un doigt expert, puis elle se plaça à la queue des voyageurs qui piétinaient à l'arrêt de l'omnibus G. Ployé sous le poids de son appareil à soufflet, il parvint de justesse à monter sur la plate-forme.
    Le tramway de la Nation à la porte de Charenton sillonnait des rues interminables qui étiraient les falaises de leurs maisons sur un horizon camaïeu. Des rails, des disques rouges ou verts, des terrains vagues. Le Paris-Lyon-Marseille fonça, nimbé d'un panache gris. Épargnés encore par les spéculateurs, certains coins de rues bordées de gourbis demeuraient debout. Au rez-de-chaussée, des portes déglinguées, des fenêtres aux rideaux fanés s'ouvraient sur des intérieurs misérables.
    Quand Victor atterrit sur le trottoir, il lui sembla s'être amarré à un monde parallèle. Paris, pour bien des gens, c'était le clinquant, le luxe, le reste ne comptait guère. Des haies d'épine-vinette et de houblon sauvage enlaçaient les masures. Au loin se profilait la masse sombre d'une fabrique.
    La reine Mab allait d'un bon pas, Victor gardait ses distances. Une vieille femme imprégnée d'absinthe lui demanda un sou qu'il lui donna. La reine Mab n'était plus qu'une silhouette floue. Il accéléra l'allure, longea les fortifications, sortit par une poterne et se heurta aux grilles d'un cimetière cerné d'une mer d'herbes folles d'où émergeait un cabanon, pareil à un récif érodé. C'était la seule habitation des alentours, la reine Mab y était-elle entrée ? Il s'engagea dans un chemin creux, dérapa dans la boue, s'étala. A moitié sonné. Le visage enfoui au creux de son bras, il entendit une voix crier :
    — Maman ! Maman, tu es là ? C'est moi, Josette !
    Il se releva, vérifia l'état de son appareil à soufflet. Rien de cassé. Puis il la vit. La reine Mab frappait de toutes ses forces contre une fenêtre close. Elle fit brusquement demi-tour, dépassa un muret surmonté d'un lilas. Il la talonna discrètement, déboucha sur un jardin en friche où se dressait un puits. La reine Mab s'acharnait sur une porte fissurée condamnée par des scellés.
    — Maman, t'es où ? Pour une fois que je viens ! Jupes troussées, elle courut vers le chemin, Victor eut la présence d'esprit de se plaquer au lilas.
    — C'n'est pas la peine d'insister, elle a déménagé.
    La reine Mab fit un saut de carpe et se retrouva face à un homme tout rond avec une jambe de bois, un tambour en bandoulière.
    — Vous êtes qui, vous ?
    — Autrefois, j'étais garde champêtre, je tapais sur mon tam-tam et disais à haute voix les décrets du conseil municipal. Seulement avec toutes ces réclames et ces avis imprimés qu'ils posent sur les murs, je sers plus à rien, alors on m'a largué au rebus, mais mon tambour, j'l'ai pas rendu.
    — J'm'en fiche de votre caisse, je vous cause de Mme Arbois, elle vivait là il y a six mois. Où a-t-elle déménagé ?
    L'homme désigna le cimetière.
    — Maman est morte ! Quand ça ?
    — Vous êtes sa fille ?
    — Ben oui, sinon je n'l'appellerais pas maman.
    — Ça s'est produit en mars, elle a été étranglée. On a découvert son corps au fond du puits. On a cherché à vous prévenir sans résultat. Dame, les flics l'ont transportée à la Morgue, et puis ses amis du quartier se sont cotisés pour lui offrir un coin de terre à l'endroit où elle avait vécu. Y a même son nom gravé sur sa tombe, elle est jolie, sa tombe, vous savez, toute fleurie.
    — Et l'assassin, on lui a mis le grappin dessus ?
    — Pensez-vous ! Les flics ne gaspillent pas leur temps avec les pauvres. Ce quartier n'existe plus guère, jadis c'était agréable, y avait des petites maisons, des jardins potagers, les gens sortaient leur chaise sur les seuils, et moi, j'en étais pas réduit à l'asile de nuit et à la soupe populaire. Et puis ces messieurs les

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