Le Peuple et le Roi
lendemain, la même Assemblée ait annulé
sa décision de la veille, et que des députés aient crié : « Vive le
roi ! »
Louis ne s’en satisfait pas.
Ces votes contradictoires montrent que l’Assemblée est à l’image
du pays, divisée, et que la Révolution que Louis avait voulu croire parvenue à
son terme continue.
Louis a lu ce qu’écrit Mallet du Pan, dans le Mercure de
France, et que confirment les courriers que Louis reçoit de toutes les
provinces – il bute sur le mot de département – du royaume.
« Où la Constitution est-elle appliquée ? s’interroge
Mallet du Pan.
« Est-ce à Toulon au milieu des morts et des blessés
qui se sont fusillés à la face de la municipalité ébahie ? Est-ce à
Marseille où deux particuliers ont été assommés et massacrés comme aristocrates,
sous prétexte qu’ils vendaient aux petits enfants des dragées empoisonnées pour
commencer la contre-révolution ?… Est-ce à Arles, à Toulouse, à Nîmes, en
Dauphiné, où rixes et émeutes sont fréquentes ? Ou à Avignon ? Là, à
la nouvelle du décret d’annexion à la France, les “aristocrates”, dans l’église
des Cordeliers, en présence d’une foule immense, persuadée qu’un miracle s’accomplit,
que la Madone pleure, massacrent sur l’autel le maire patriote après l’avoir
mutilé. En représailles, les “patriotes” remplirent d’aristocrates le Palais
des Papes, et en tueront au moins une soixantaine. »
Et partout en France les émeutes dans les marchés n’ont pas
cessé. Les fermes sont envahies par des bandes de vagabonds.
À Rochefort, à Lille, violences, refus de changer son argent
en assignats, cette monnaie de fait qui chaque jour perd de sa valeur.
Impossibilité pour les municipalités de déployer le drapeau
rouge de la loi martiale.
À Paris, sur six cent mille habitants, on compte cent mille
pauvres, des dizaines de milliers d’indigents, qu’on a renvoyés des ateliers
nationaux.
Partout l’on désobéit. On pille. On demande la taxation des
denrées.
Louis n’a pas répondu à Marie-Antoinette quand elle a dit :
« Il n’y a que le prix du pain qui les occupe. »
C’est bien plus que cela dont il s’agit ! Louis le
pressent.
Il a décidé de se promener souvent à cheval dans les divers
quartiers de Paris.
N’a-t-il pas accepté d’être le roi des Français, et monarque
constitutionnel ?
Il veut savoir quel accueil le peuple lui réserve.
Et il a durement ressenti l’indifférence, presque méprisante,
de ce peuple qui lève à peine la tête lorsque passe le roi.
Et rue Montmartre les marchandes d’herbes et de marée ont
crié « Le gros sot ! », « Le gros sot ! ».
On dit que les Jacobins avaient payé ces harengères.
Elles ont insulté le roi, voilà ce que Louis retient.
Et il comprend, sans l’approuver, Marie-Antoinette lorsqu’elle
dit : « Tous les dangers possibles plutôt que de vivre plus longtemps
dans l’état d’avilissement et de malheur où je suis. »
Mais Louis craint cette « guerre civile » qui
conduit comme à Avignon, à Rouen ou à Caen à des affrontements sauvages, qui
rappellent ceux des guerres de religion.
En Vendée, les prêtres réfractaires persuadent les fidèles
que les mariages et les baptêmes célébrés par des prêtres constitutionnels sont
nuls et sans valeur, qu’il faut donc se remarier, se rebaptiser. Et le trouble,
le désarroi, et la colère saisissent les familles.
Louis est blessé dans sa foi par cette atteinte à la
religion du royaume.
Il sait que plusieurs des nouveaux députés – Brissot, Vergniaud,
journalistes, avocats (quatre cents inscrits au barreau) dont un grand nombre
ont moins de trente ans – ont fréquenté les clubs, les sociétés de pensée, les
assemblées populaires, les loges maçonniques, et sont athées. Leurs
prédécesseurs à l’Assemblée nationale constituante – ainsi Robespierre – étaient
déistes, croyaient à l’Être suprême.
Et Louis ne peut accepter de sanctionner le décret qui
déclare suspects de révolte tous les prêtres qui refuseront le serment et leur
retire leur pension, les éloigne ou les punit de deux ans de détention, et
interdit le partage des églises entre les réfractaires et les constitutionnels.
Louis usera de son droit de veto.
Et il fera de même contre un décret qui exige le retour en
France des émigrés – et des dizaines de milliers ont quitté le royaume –
Weitere Kostenlose Bücher