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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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prématuré. Il n’était
plus temps de reculer, ni de tenter de nous cacher. Alors nous sommes restés là,
dans la lumière aveuglante de leurs torches, chacun d’entre nous se creusant le
cerveau à la recherche d’une excuse. Au bout de quelques secondes, l’un des
policiers est venu droit à nous, braquant le faisceau lumineux dans nos yeux.
    « Vous êtes juifs ? » Le point d’interrogation
était seulement rhétorique puisqu’il n’a pas attendu notre réponse pour ajouter :
« Oui, donc… » Il y avait une nuance de triomphe dans cette
proclamation de notre appartenance raciale, la satisfaction très nette d’avoir
débusqué pareil gibier. Avant de comprendre ce qui nous arrivait, nous nous
sommes retrouvés les mains en l’air, plaqués contre le mur, tandis que les
policiers se déployaient sur la chaussée derrière nous tout en déverrouillant
le cran de sûreté de leur fusil. Alors c’était de cette manière que nous
allions mourir… D’un instant à l’autre, oui, et ensuite nous allions rester
jusqu’au lendemain à baigner dans notre sang sur le trottoir, le crâne explosé.
Ce serait seulement au matin que ma mère et mes sœurs apprendraient notre sort
et se précipiteraient à notre recherche, et les amis chez qui nous nous étions
attardés se reprocheraient de ne pas avoir mieux veillé à notre salut… Toutes
ces pensées défilaient dans mon esprit avec un étrange détachement, comme si c’était
un autre que moi qui les avait conçues. J’ai entendu quelqu’un dire tout haut :
« C’est la fin ! », et il m’a fallu un moment pour me rendre
compte que ces mots venaient de sortir de ma propre bouche. Et là, j’ai eu
conscience d’autres bruits : des sanglots convulsifs, accompagnés de
gémissements. Tournant la tête, j’ai découvert mon père agenouillé sur le
macadam trempé, en larmes, qui suppliait les policiers de nous épargner. Comment
pouvait-il s’avilir à ce point ? Penché sur lui, Henryk murmurait des
exhortations en tentant de le remettre debout. Mon frère, si réservé d’habitude,
avec son éternel rictus sardonique, avait à ce moment une expression d’une
tendresse et d’une douceur extraordinaires, que je ne lui avais encore jamais
vue. Il devait donc exister un « autre » Henryk, que j’aurais pu
comprendre si seulement j’avais pris la peine de le connaître au lieu de
toujours être en contradiction avec lui.
    J’ai repris ma position devant le mur. La situation s’était
figée : Père continuait à sangloter, Henryk à essayer de le calmer et les
policiers à nous menacer de leurs armes. Nos yeux ne pouvaient rien distinguer
au-delà du mur de lumière éblouissante que faisaient leurs torches. Soudain, en
l’espace d’une fraction de seconde, j’ai eu l’intuition, la conviction que la
mort avait cessé son approche. Une voix s’est élevée derrière le rempart
lumineux :
    « Qu’est-ce que vous faites, dans la vie ? »
    Henryk a répondu pour nous trois. Il manifestait un
incroyable sang-froid, sa voix restant aussi calme que s’il ne s’était rien
passé.
    « Nous sommes musiciens. »
    L’un des policiers s’est approché de moi, m’a attrapé par le
collet et m’a secoué dans un dernier accès de rage, sans raison discernable
puisqu’il avait finalement décidé de nous laisser la vie sauve.
    « Vous avez de la chance que je le sois moi aussi, musicien !
Il m’a renvoyé contre le mur d’une bourrade. Allez, déguerpissez ! »
    Nous sommes partis en courant dans les ténèbres, anxieux d’échapper
aux rayons des torches avant qu’ils ne changent d’avis, peut-être. Nous
entendions leurs voix s’estomper peu à peu derrière nous. Une violente
polémique avait éclaté entre eux, apparemment, les deux autres blâmant le
troisième de nous avoir épargnés. Ils estimaient que nous ne méritions pas la
moindre sympathie, puisque nous étions les responsables d’une guerre dans
laquelle des Allemands étaient en train de mourir.
    Pour l’heure, cependant, ces Allemands prospéraient bien
plus qu’ils ne mouraient. De plus en plus souvent, des meutes de nazis s’abattaient
sur les habitations juives, les pillaient et emportaient leur butin par camions
entiers. Désespérés, les pères de famille vendaient à la hâte leurs plus beaux
meubles et les remplaçaient par des pièces sans valeur, qui n’exciteraient pas
la convoitise allemande. Si nous en avons fait de même, chez

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