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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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bras, le lui
arracher et s’enfuir en courant dans l’espoir de trouver quelque chose de
comestible à l’intérieur.
    Alors que je traversais la place de la Banque, une pauvre
femme portant un bocal enveloppé de papier journal marchait devant moi, à
quelques mètres. Un vieux bonhomme en haillons se traînait entre nous deux, les
épaules voûtées, tremblant de froid, ses chaussures trouées laissant apparaître
ses pieds violacés dans la neige fondue. Soudain, il a bondi en avant, s’est
agrippé au bocal et a tenté de s’en emparer. Je ne sais s’il n’était pas assez
fort, ou si la passante résistait trop énergiquement, mais en tout cas le bocal
a fini par s’écraser au sol au lieu de finir entre les mains de l’« escamoteur »
et une mare de soupe épaisse, encore fumante, s’est formée dans la neige sale.
    Nous sommes restés pétrifiés tous les trois, la femme privée
de voix par la consternation. Les yeux du vieux allaient du bocal à la passante,
un grognement qui ressemblait à un sanglot s’est échappé de sa gorge. Brusquement,
il s’est jeté à plat ventre dans la gadoue et s’est mis à laper la soupe en s’aidant
de ses deux mains pour empêcher le liquide boueux de lui échapper, indifférent
aux coups de pied que lui décochait maintenant la femme tout en hurlant de
désespoir et en s’arrachant les cheveux.

6

L’heure des enfants et des fous
    Ma carrière de pianiste en temps de guerre a débuté au Café
Nowoczesna, rue Nowolipki. Aussi dérisoire qu’elle m’ait semblé, la vie avait
fini par me tirer de ma léthargie, me forçant à chercher un moyen de gagner de
quoi subsister. Et j’en avais trouvé un, grâce au Ciel. Mon travail ne me
donnait guère le loisir de broyer du noir, et puis de savoir que la survie de
tous mes proches dépendait de mes maigres cachets d’interprète m’a conduit à
surmonter peu à peu le désespoir sans fond dans lequel j’avais sombré.
    Je commençais l’après-midi. Pour me rendre au café, je
devais trouver ma route dans le labyrinthe d’étroites ruelles qui se perdaient
à travers le ghetto, ou bien, quand j’avais envie d’un peu de changement et d’observer
les palpitantes allées et venues des contrebandiers, je longeais le mur d’enceinte.
C’était le meilleur moment, pour eux : les policiers, épuisés d’avoir
passé la matinée à se remplir les poches, étaient alors occupés à compter leur
butin. Des silhouettes furtives apparaissaient aux fenêtres ou sous les porches
des immeubles qui jouxtaient le mur avant de se tapir à nouveau dans l’ombre, l’oreille
tendue, guettant l’approche d’une carriole ou d’un tram de l’autre côté de la
paroi. De temps à autre, le bruit des roues invisibles s’intensifiait, le
claquement des sabots d’un cheval sur les pavés se précipitait et, au signal
convenu – un bref sifflement –, on voyait soudain des sacs et des caisses voler
par-dessus l’enceinte. Alors les guetteurs sortaient en courant de leur abri, récupéraient
en hâte la marchandise et se fondaient à nouveau dans l’ombre tandis qu’un
silence trompeur, frémissant de nervosité et de chuchotements, reprenait
possession de la rue pendant quelques minutes. Les jours où la police mettait
plus d’énergie à la tâche, on pouvait entendre les échos des coups de feu se
répercuter sur les façades. Ces jours-là, c’étaient des grenades à main et non
des sacs qui franchissaient le mur et explosaient bruyamment en fissurant le
plâtre des bâtiments.
    Il y avait des endroits où le mur ne descendait pas jusqu’au
sol, percé de drains destinés à laisser les caniveaux de la partie aryenne de
la rue se déverser dans les égouts qui passaient sous la chaussée juive. Ici, c’était
le territoire des contrebandiers en herbe, des enfants qui s’y risquaient sur
leurs jambes minces comme des allumettes en jetant des regards apeurés autour d’eux
et qui y passaient leurs petites pattes noirâtres pour récupérer l’arrivage du
jour, des fardeaux souvent plus gros que ceux qui venaient les réceptionner. Alors,
ils les chargeaient sur leurs épaules, chancelant sous le poids, les veines de
leurs tempes gonflées par l’effort, la bouche ouverte, le souffle court, et ils
s’éparpillaient en tous sens, tels des rats pris de panique.
    Leur labeur comportait autant de risques que celui des
adultes. Leur vie ou leur intégrité physique étaient tout aussi en danger. Un
jour,

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