Le piège
collègue. Regarde-la attentivement.
Le policier l’examina longuement.
— Le cachet ? C’est un cachet de
gendarmerie, ce n’est pas un cachet de l’armée.
— Parfaitement. Le commandant n’avait
pas de cachet. Il a emprunté celui de la gendarmerie.
— Non, la signature, la signature, je
parle de la signature.
— Oui, eh bien ?
— Tu ne remarques rien, Robert ?
— Non.
— C’est la même écriture. Celui qui a
rempli cette fiche est le même qui l’a signée.
— En effet, dit Bridet. Je vais vous
raconter comment ça s’est passé. Rien de plus simple. Au moment de l’armistice,
après avoir perdu mon unité, je me suis trouvé à Ambert, dans le Puy-de-Dôme. J’ai
été me présenter à la gendarmerie. On m’a dit d’attendre. Quelques jours après,
un commandant s’est installé à la sous-préfecture avec le titre, tiré de je ne
sais où, de major de zone. Le tambour a annoncé que tous les militaires se
trouvant dans la ville devraient se présenter à lui. C’est ce que j’ai fait.
Comme j’étais journaliste et que le commandant manquait de secrétaire, il m’a
récupéré et affecté à son service. Il s’est trouvé qu’ainsi c’est moi qui ai
démobilisé tous les cultivateurs de l’arrondissement. Quand est arrivé mon
tour, je me suis démobilisé également.
— Vous n’avez pas d’autres papiers ?
— Non.
Le policier se tourna vers son collègue.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
— Il faut demander au chef.
Quelques instants après, un petit homme
noir, avec une moustache mieux taillée et quelque chose de plus soigné dans les
vêtements qui révélait une fonction plus importante, entra dans la chambre.
— Je tiens à vous dire tout de suite
qui je suis, dit Bridet. Mes amis, M. Basson, de la Direction générale de la
Police nationale, et M. Laveyssère, du cabinet du Maréchal...
Mais le chef lui coupa la parole.
— Ce que vous êtes n’a aucune
importance. Je ne sais qu’une chose : vous n’êtes pas en règle. Je suis
dans l’obligation de vous prier de me suivre.
— Mais vous ne savez pas qui est mon
mari, s’écria Yolande.
— Je t’en prie, lui dit Bridet.
Il s’habilla. « Je téléphonerai demain
matin à Basson », dit Yolande. Bridet ne répondit pas. « Et à
Laveyssère. C’est quand même inouï qu’un homme comme toi puisse être conduit au
commissariat. » Au bout d’un moment, Bridet dit : « Je crois qu’il
vaut mieux pas, cela fera mauvais effet à Vichy. Si je courais vraiment un
risque, je comprendrais. Mais dès qu’on aura fait une enquête, on s’apercevra
que ce que je dis est vrai et on sera bien obligé de me relâcher. Ce n’est pas
la peine d’alerter les amis pour si peu. »
Bridet se regarda dans la glace. À ce
moment, il était seul avec Yolande. Il l’appela et, à voix basse, il lui dit :
« Quelle bande de salauds ! Ça, pour en descendre, je te promets qu’on
en descendra quelques-uns un jour. » « Tais-toi, lui dit-elle. Je t’assure
qu’il va t’arriver quelque chose. Je te l’ai dit et je te le répète : il n’y
a qu’un moyen de s’en tirer, c’est de se mettre bien avec les Boches. On peut
leur parler, à eux. Ils sont beaucoup mieux que les Français qui leur lèchent
les bottes. »
Bridet ne répondit pas. La colère le
gagnait.
— Alors, vous venez ? cria un
policier.
— Oui, oui, je viens, dit Bridet.
** *
Ils étaient une quarantaine dans une sorte
de salle de garde du commissariat central. Ce dernier était installé dans un
côté de la grande poste, magnifique construction. Il y avait des barreaux à la
fenêtre, mais par une intention délicate de l’architecte, ils étaient recourbés
aux extrémités de façon à permettre de s’accouder sur l’entablement ou d’y
mettre des pots de fleurs.
Tout le monde s’était assis, sauf Bridet
qui marchait de long en large. Une pauvre femme se lamentait. Sa fille, une
enfant de huit ans, devait arriver seule tout à l’heure, de Tain-l’Hermitage, à
la gare de Perrache. Elle ne saurait où aller. Bridet s’approcha du sergent de
ville qui se tenait près de la porte. « Vous devriez prévenir le
commissaire, répéta Bridet. — Je ne peux pas, répondit l’agent. — Eh
bien, dites-le à un secrétaire quelconque. »
L’agent sortit. Il revint peu après avec un
employé en civil. « Que se passe-t-il ? » demanda ce dernier de
l’air d’un homme qui a
Weitere Kostenlose Bücher