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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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police risquait de faire à l’hôtel par la suite. Il n’en fut rien. Le
propriétaire lui fit un petit signe amical où l’on sentait sa satisfaction de
retrouver son client libre. Cette attitude causa à Bridet un grand bien. Il
était réconfortant de voir des Français faire passer leur intérêt après la
solidarité que se doivent des hommes nés sur le même sol.
    Bridet attendit plus d’une heure. Enfin,
Yolande revint. Comme il le redoutait, elle avait employé la matinée à alerter
ses amis. Il lui fit observer qu’elle aurait mieux fait de se tenir tranquille :
« Comment, s’écria-t-elle, tu voulais que je te laisse en prison ! »
    Il sentit de nouveau qu’il y avait un monde
entre elle et lui. La défaite n’avait rien changé au fond de son cœur. Celle-ci
était à ses yeux une catastrophe, certes, mais pas telle qu’elle pût modifier
les réactions normales de défense d’un être humain.
    Elle annonça qu’entre autres personnes,
elle avait été voir un directeur de journal. Il l’avait très bien reçue. Il lui
avait dit qu’il était inadmissible que Bridet restât en prison, qu’il allait
faire le nécessaire.
    Tirant de cet accueil tout le parti
possible, elle ajouta qu’il avait tort de bouder ses amis, de s’isoler comme si
tout le monde était responsable de la défaite, sauf lui. Tous les Français,
quelles que fussent leurs opinions politiques, souffraient autant que lui. Il fallait
s’aider les uns les autres.
    Bridet ne répondit pas. Il dit cependant
peu après : « Ils me dégoûtent tous. Il n’y a rien à faire ici. Je te
le répète, je veux rejoindre de Gaulle et je le rejoindrai, même si je dois y
laisser ma peau. »
    Ils passèrent l’après-midi dans un cinéma
bondé où on respirait avec peine. Des applaudissements coupés de sifflets crépitèrent
au moment où défilèrent devant une estrade des légionnaires qui marchaient sans
ordre, mais la tête haute et le bras tendu. « Quelle noblesse dans leur
regard ! » cria une femme. « C’est effroyable », murmura
Bridet. « Tais-toi ! » dit Yolande. « Ma parole, ils font
le salut hitlérien », dit Bridet qui ne pouvait plus se contenir. « Vous
ne voyez pas qu’ils prêtent serment », observa sèchement un vieux
monsieur.
    Ils dînèrent dans un petit restaurant de la
catégorie D, à 12,50 francs le repas. Ils allèrent ensuite se promener le long
de la Saône. Puis, lorsque la nuit commença à tomber, ils se rapprochèrent de l’hôtel.
    Bridet aimait à se promener autour de la
place Carnot à l’heure où les Allemands commençaient à rentrer dans leur
chambre. Les groupes d’agents cyclistes qui veillaient à leur sécurité devant
les hôtels se moquaient d’eux parfois et, venant de l’autorité, ces moqueries
attiraient les badauds.
    Bientôt, il fit nuit. « On va finir
par se faire remarquer », dit Yolande. Dans les bosquets qui entourent la
statue de la République, il n’y avait pas que des couples, mais des hommes
seuls qui rôdaient. Ils ne faisaient plus peur. Une conséquence inattendue de
la défaite était que les voyous eux-mêmes semblaient inoffensifs. De temps en
temps, on apercevait des détachements de voyageurs qui descendaient de la gare.
    En passant devant une fenêtre
hermétiquement close, Bridet entendit une radio. Il s’arrêta. Était-ce Londres
ou Vichy ? C’était Londres.
    — Tu viens ? dit Yolande.
    — C’est Londres, dit Bridet.
    — Londres est fini.
    — Non. Ce sont les messages
personnels.
    On entendait distinctement :
    « Le tandem de Roger est réparé. »
    « Les chimères sont des folles. »
    « Albertine n’a jamais été vaccinée.
Nous répétons : Albertine n’a jamais été vaccinée. »
    « Les chats du Luxembourg miaulent
toujours. »
    Yolande s’approcha.
    — Tu viens, c’est sans intérêt.
    Mais Bridet ne bougeait pas. Il éprouvait
un plaisir à écouter ces messages. Ils étaient l’indice, le seul indice au
milieu de toute cette misère, que quelque chose se passait, qu’il y avait
encore quelque part dans le monde des hommes qui trompaient les Allemands, qui
montaient des machinations contre eux. Et il espérait confusément que, par il
ne savait quel concours de circonstances, un de ces messages lui serait
destiné, qu’il entendrait par exemple tout à coup : « Le mari de
Yolande est attendu à Londres. Nous répétons : Le mari de Yolande est
attendu à Londres. »
    **

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