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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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contraire, un
événement heureux. On avait décidé de le charger d’une mission. On voulait
simplement lui demander un renseignement. Il n’y avait rien contre lui, rien d’écrit,
de tangible. Il n’avait d’ailleurs rien fait. Il avait dit, il y a quelque
temps, à bien des gens, qu’il cherchait à rejoindre de Gaulle, mais s’il
fallait arrêter tous ceux qui avaient dit la même chose... En revanche, depuis
qu’il était ici, il avait assez dit combien il admirait le Maréchal. Il avait
même peut-être un peu exagéré le jour où il avait dit à Laveyssère qu’il le
vénérait.
    En supposant que certains aient été mis au
courant des propos qu’il avait tenus ailleurs, il n’y avait pas de raison d’accorder
à ceux-ci plus de créance qu’à ceux qu’il tenait aujourd’hui. Tout ce qu’on
pouvait contre lui, c’était témoigner de la méfiance, le tenir à distance. Au
fond, on le convoquait peut-être pour lui annoncer qu’on ne pouvait lui donner
le sauf-conduit. On allait lui dire que, réflexion faite, on estimait son
départ inopportun. Ce mot d’« inopportun » était très apprécié en ce
moment. Il était d’une fermeté polie qui plaisait énormément aux autorités
vichyssoises.

8
    À dix heures précises, Bridet arriva rue
Lucas. Il avait renoncé à déposer sa valise dans un café voisin de la station
de cars de peur, au cas où il eût été suivi, qu’on ne supposât qu’il ne voulait
pas se rendre à la convocation. Il l’avait confiée à un commerçant qui fit d’ailleurs
des difficultés pour en accepter la garde.
    La rue Lucas, toute proche du Parc, était
la plus paisible qui fût. On n’y voyait aucun magasin. Par contre, à l’entrée
de presque chaque immeuble, de superbes plaques de médecin étaient fixées.
Bridet eut beaucoup de difficultés à trouver le bureau de la Sécurité
nationale. Aucune indication extérieure n’était visible. Sous la voûte, rien
non plus. Il ouvrit une porte vitrée qui donnait sur un vaste hall, au milieu
duquel s’élevait l’escalier principal. À la boule de cuivre ciselé terminant la
rampe, un écriteau de carton était accroché. Les deux mots « Sécurité
nationale » y étaient écrits, mais sans mention d’étage.
    Comme il ne semblait pas y avoir de
concierge, Bridet ressortit, frappa à une fenêtre dans la cour. « Ça c’est
bien l’esprit fonctionnaire, pensa-t-il. Ces messieurs se croient
indispensables. On ne peut pas se passer d’eux, n’est-ce pas ? Si on veut
les voir, eh bien ! on n’a qu’à se donner la peine de les chercher. Ce n’est
pas à eux de se déranger. »
    Les locaux de la Sécurité nationale étaient
installés dans l’appartement de l’entresol. Seules les heures d’ouverture
étaient inscrites à la porte. Bridet sonna. C’était ridicule, mais le fait que
l’invitation d’entrer sans frapper ne figurât pas sur la porte lui fut
désagréable. Personne ne répondit. Il tourna le bouton et se trouva dans un
vestibule meublé d’une table de bois blanc et d’une chaise réservée à un
employé. Celui-ci était absent. Bridet lut le mot « Renseignements ».
Il frappa à une porte.
    — Entrez, cria-t-on.
    Il se trouva en présence de quatre hommes
assis chacun devant un petit bureau individuel. Il eut le sentiment qu’il avait
interrompu une conversation. Ces hommes l’examinèrent. Bridet s’approcha de
celui qui était le plus près de la porte, et lui montra la convocation. L’employé
la lut plusieurs fois sans doute, car il resta un long moment les yeux fixés
sur ces quelques lignes.
    — C’est vous, Monsieur Bridet ?
demanda-t-il enfin.
    — Oui, c’est moi.
    — Monsieur Joseph Bridet ?
    — Oui, oui.
    L’employé se tourna vers ses collègues,
regrettant visiblement de ne trouver d’autres questions à poser.
    — Le chef n’est pas encore arrivé, hein ?
    Bridet pensa une seconde qu’il pouvait en
profiter pour partir. Il dit :
    — Dans ce cas voulez-vous être assez
aimable de dire que je suis venu et que je repasserai plus tard.
    Les quatre hommes se regardèrent.
    — Si vous êtes convoqué, il vaut mieux
que vous attendiez, dit l’un d’eux.
    — J’étais convoqué pour dix heures.
    — Oui, oui, je le sais, M. le
Directeur ne va pas tarder, dit un autre qui voulait paraître avoir plus d’usage
que ses collègues.
    — Ah, très bien, dit Bridet.
    — Vous n’avez qu’à vous asseoir dans

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