Le piège
une sorte de desserte à pieds dorés donnaient grand genre, on
apercevait, à travers les deux battants vitrés d’une porte, un salon tout aussi
somptueux.
— Je vais prévenir monsieur le
Directeur, dit le secrétaire. Il doit être arrivé maintenant.
Bridet eut une sorte de haut-le-corps
comparable à un hoquet silencieux. Que signifiait cette attitude bizarre du
jeune homme élégant ? Pourquoi disait-il à présent que le directeur était
là, alors qu’il était venu simplement chercher le visiteur pour le conduire
dans un endroit plus confortable ? Bridet n’eut pas le temps de réfléchir
davantage. Le secrétaire entrouvrit la porte vitrée.
— Est-ce que M. Bridet peut entrer ?
demanda-t-il.
La réponse parvint dans le hall :
— Mais naturellement.
Le secrétaire s’effaça et Bridet se trouva
tout à coup dans la grande pièce claire et gaie. Il aperçut à sa gauche, dans
le fond, derrière un bureau qu’on ne pouvait voir du hall, un homme assis. Cet
homme se leva. Il avait des cheveux plats très clairsemés, comme peints sur le
sommet de la tête. Il portait un col amidonné et, à sa boutonnière, une
minuscule rosette de la Légion d’honneur dont le rouge vif était mis en valeur
par la teinte sombre du veston. Bridet eut tout de suite le sentiment qu’il ne
se trouvait plus, comme jusqu’à présent, en présence de camarades de son âge,
de jeunes hommes prenant des airs énigmatiques pour imposer, mais en présence d’un
véritable haut fonctionnaire. Ce monsieur Saussier était visiblement quelqu’un.
Il ne devait rien à la défaite. Il avait déjà dû occuper d’autres postes importants
avant la guerre.
— Excusez-moi, dit M. Saussier, de
vous avoir fait attendre. Veuillez vous asseoir. Je vous ai prié de passer me
voir ce matin parce que j’ai à vous parler.
— Mais, Monsieur, cela n’a aucune
importance, c’est tout naturel.
— Vous êtes, je crois un grand ami de
notre sympathique Basson.
— Je ne suis pas un grand ami. Je suis
simplement un ami de Basson, répondit Bridet prudemment.
— Vous avez été quand même heureux de
le revoir ?
— Très heureux, dit Bridet.
— Vous saviez qu’il était ici ?
— Je l’ai appris à Lyon.
— Comment ? demanda M. Saussier
négligemment.
On sentait qu’il était un peu gêné qu’un
homme de son importance posât des questions en apparence si anodines. Aussi le
faisait-il en annotant des papiers, comme si, occupé par ailleurs, il ne
parlait que pour empêcher l’entretien de tomber.
— Le plus simplement du monde. Dans
les semaines qui ont suivi l’armistice, nous avons tous cherché à savoir ce que
nos amis, et quelquefois même des gens auxquels nous n’attachions aucune importance,
étaient devenus.
— Oui, oui, j’ai éprouvé cela. Quels
souvenirs !
— D’ailleurs, je n’ai pas été voir que
lui. J’ai été voir également Laveyssère que vous connaissez sans doute. Il est
au cabinet du Maréchal. C’est un de mes amis, ou plutôt un ami de la famille de
ma femme. La mère de James Laveyssère est née Quatrefage. Mon beau-père a été
longtemps le directeur de la F.A.L., la compagnie maritime France-Amérique
latine, dont M. Laveyssère père était un des fondateurs.
— Oui, oui, mais ne nous écartons pas
trop de notre sujet. Revenons à Basson. Vous lui aviez demandé, d’après ce qui
m’a été raconté, de vous aider à partir, c’est bien cela, n’est-ce pas ?
— Pas exactement. Je lui ai dit :
« Je viens me mettre au service du Maréchal. » Mon zèle l’a fait un
peu sourire. Il m’a dit : « C’est très beau de ta part, mais as-tu
quelque chose à proposer ? » J’ai pensé alors à notre empire. Je lui
ai dit : « Vous, vous devriez envoyer des hommes sûrs là-bas. »
— Et qu’est-ce que Basson vous a
répondu ?
— Il m’a approuvé. Il m’a dit d’ailleurs
que c’était ce qu’on faisait et qu’il m’y enverrait dès qu’il le pourrait. Je
crois d’ailleurs que c’est fait. Je devais justement passer ce matin à l’Intérieur.
Je ne l’affirmerai pas, mais il me semble bien que mes papiers sont prêts.
M. Saussier eut l’air de se réjouir de
cette nouvelle.
— Au fond, dit-il, Basson a été très
gentil pour vous.
— Très.
Saussier appuya sur un bouton. Un homme
parut dans l’embrasure d’une porte, non pas à la manière d’un secrétaire, mais
avec la familiarité d’un parent
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