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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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ou d’un ami.
    — Venez, Schlessinger.
    C’était un homme grand, mince, voûté, avec
un long nez busqué et fin. Il portait des binocles d’or. Il avait la
coquetterie de se vieillir en laissant tomber les cendres de sa cigarette sur
lui. Il était d’une origine plus difficile à déceler que celle des Outhenin,
Basson, Vauvray, Rouannet, Saussier même. Il donnait l’impression d’un
universitaire ne faisant pas personnellement de politique, mais ayant su se
rendre indispensable dans des milieux où on en faisait. Il avait peut-être
pensé que ses longues études le distingueraient plus là où elles n’étaient pas
nécessaires. Il avait peut-être renoncé au but pour lequel il les avait faites
et sacrifié un idéal de jeunesse pour une considération et des profits plus
rapides.
    Bridet sourit. En réalité, il se trouvait
dans un état d’énervement extraordinaire. Il ne comprenait rien à ce qui se
passait. Il ne voyait pas pourquoi on l’avait convoqué. On semblait tenir à
échanger avec lui quelques idées. Mais enfin, on ne convoque pas les gens à la
police pour échanger des idées...
    M. Saussier s’adressa à son collaborateur.
    — Je voudrais vous répéter ce que
vient de me dire M. Bridet, c’est très intéressant.
    — Ah bon, dans ce cas, attendez un
instant, dit Schlessinger. Je vais chercher ma serviette.
    Bridet regarda le directeur de la Sécurité
avec étonnement. Qu’avait-il donc dit de si intéressant ?
    Schlessinger revint peu après. Il s’assit
près du bureau, écarta des papiers, posa sa serviette devant lui.
    — Prenez ma place, dit Saussier, vous
serez mieux.
    — Oh ! merci, ce n’est pas la
peine, répondit Schlessinger en jetant un coup d’œil à sa montre-bracelet. Vous
savez qu’il est midi et demi. On ferait peut-être mieux de commencer cet
après-midi.
    — J’en ai pour quelques minutes. Il
est préférable que vous soyez au courant. Nous continuerons cet après-midi, si
c’est nécessaire. Je vais vous résumer rapidement les déclarations de M.
Bridet.
    — Les déclarations ! s’écria
Bridet en riant. Le mot est un peu solennel...
    — Voici, continua Saussier sans avoir
paru entendre cette interruption. M. Bridet prétend que, désirant servir notre
gouvernement, il est venu de lui-même à Vichy, sans y avoir été invité par
personne, pour prendre contact avec des amis. Il a vu Basson, M. Laveyssère. C’est
bien cela, monsieur Bridet ?
    — En effet, mais avec cette nuance que
je ne prétends pas, car c’est la vérité.
    — Ça ne concorde pas exactement avec
ce que m’a dit Basson, observa Schlessinger qui n’avait pas encore ouvert sa
serviette.
    — Vous croyez donc que ce serait
Basson qui aurait fait le premier pas ? poursuivit Saussier.
    Ces trois derniers mots : « le
premier pas » causèrent un froid à Bridet. Schlessinger se tourna à ce
moment vers ce dernier. Il avait une cigarette à la bouche. La fumée lui
faisait cligner les yeux.
    — Vous affirmez n’avoir jamais vu
Basson ailleurs qu’à Vichy, ne l’avoir pas vu à Lyon par exemple ?
    — Jamais, s’écria Bridet qui, tout à
coup, pour la première fois, venait d’avoir l’impression que ce n’était plus lui
qui était en cause, mais Basson.
    Ce dernier avait fait quelque chose de
grave. Ne pouvant répondre de ses actes devant ses collègues, un fonctionnaire
étranger à la police, mais ayant des attaches avec elle, menait l’enquête.
    Son regard se troubla, au point qu’un
liquide étranger semblait s’être répandu sur la cornée. Si Basson était
coupable de quelque chose, Bridet en grossissant son amitié pour lui, en se
recommandant d’elle, s’était reconnu son complice.
    Schlessinger ouvrit sa serviette. Il en
tira quelques papiers qu’il passa à Saussier qui les lut attentivement.
    — Vauvray et Keruel auraient donc été
trompés par les Renseignements généraux, remarqua Saussier peu après.
    — Pourquoi ?
    — Je croyais qu’il n’existait pas de
double.
    — Si, si, Hild n’est pas si bête. Il
les connaît.
    Depuis une minute, Bridet cherchait comment
revenir sur ce qu’il avait dit, comment ôter à son amitié pour Basson l’importance
qu’il lui avait imprudemment donnée. Il transpirait tellement que la sueur
coulait jusqu’à son col et en mouillait le bord. Il n’avait pas perdu une
réplique du dialogue des deux policiers, mais ces hommes étaient maîtres dans l’art
de se

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