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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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que Bridet, malgré sa colère, ne lui fit aucun
reproche. Il se contenta de la regarder longuement et fixement. Elle avait
envie de pleurer, mais son amour-propre féminin la retenait. Ses nerfs
cependant étaient ébranlés car, à fleur de peau, on apercevait parfois durant
quelques secondes un plissement semblable à des rides de vieillesse.
    Tout à coup elle s’emporta. Elle ne
reconnaissait pas ses torts. Elle ne se lamentait pas d’avoir en quelque sorte
livré son mari. Elle n’était pas écrasée sous le remords. L’évidence de sa
maladresse ne la dressait pas contre elle-même mais contre les deux policiers.
Elle se mit à les injurier. Ils n’avaient pas honte de faire un pareil métier,
eux, des Français ! Mais ils n’en avaient pas fini avec elle. Elle avait
des relations. Elle saurait dans un instant, avant midi, s’ils n’outrepassaient
pas leurs droits. Elle irait voir leur chef. Des sanctions seraient prises. Ils
avaient beau lui exhiber un papier signé du ministre, elle n’en était pas moins
persuadée que ce papier était un faux. Nous n’étions pas encore retombés à l’époque
des lettres de cachet. Il y avait là-dessous une manœuvre tendant à discréditer
le gouvernement. Mais elle aurait le fin mot de l’histoire. Elle irait le voir,
ce ministre. Si cela ne suffisait pas encore, elle s’adresserait aux Allemands.
Oui, elle s’adresserait au général Stulpnagel. Elle lui raconterait ce qui s’était
passé. Et elle ne doutait pas de la conscience avec laquelle cette affaire
serait examinée.
    Au début, les inspecteurs n’avaient pas
bronché. Ils avaient essayé, sur un ton bonhomme, de calmer Yolande. Elle avait
tort de se fâcher. Il ne s’agissait que d’une simple formalité. Chaque fois qu’ils
avaient été chargés d’une mission semblable, les choses s’étaient très bien
arrangées par la suite. Le plus sage était de faciliter leur tâche.
    Mais quand Yolande menaça de faire
intervenir le général allemand, un incident incroyable se produisit.
Brusquement, comme s’ils venaient d’entendre une parole que de vrais Français
comme eux ne pouvaient tolérer chez une compatriote, les deux inspecteurs se
fâchèrent tout rouge. Mme Bridet devait faire attention à ce qu’elle disait.
Elle devait « mesurer » ses paroles sans quoi ils allaient être
obligés de faire un rapport. Il y avait des paroles qu’une Française n’avait
pas le droit de prononcer. C’était une injure à tous ceux qui, dans le malheur,
s’efforçaient de sauver ce qui pouvait encore être sauvé.
    Bridet s’était habillé. Il n’avait qu’une
pensée : fuir, et pour la cacher, il avait pris un air docile et résigné.
Au point le plus élevé de la discussion, il fit semblant de chercher quelque
chose. Il ouvrit une porte. Mais au moment où il passait dans la pièce voisine,
un inspecteur – celui qui avait des traits assez fins mais l’air mauvais –
oubliant instantanément qu’il était en train de donner une leçon de patriotisme
à la maîtresse de maison, lui demanda : « Où allez-vous ? »
Bridet répondit qu’il cherchait son argent. «Vous n’avez pas besoin d’argent. »
Bridet s’inclina comme si, en effet, il n’en avait pas besoin. « Allons,
venez », dit l’autre inspecteur, le sanguin, le moins méchant des deux.
    En quittant l’appartement, Bridet regarda
de nouveau sa femme comme il l’avait fait tout à l’heure. Voilà où son
admiration des élégants Vichyssois l’avait conduite. Ils n’auraient peut-être
jamais pensé à lui. C’était Yolande, avec tous ses bavardages, qui les avait
peu à peu mis en mouvement. Mais elle ne parut pas comprendre le sens de ce
regard. Elle se jeta à son cou en criant d’une voix perçante : « Ne
dis rien, mon chéri, laisse-les faire. Ce soir, tu seras libre et ils te feront
des excuses. »
    À mesure qu’on descendait, l’escalier
devenait plus obscur. Bridet était en tête. La pensée de s’élancer en avant, de
sauter les marches par quatre, lui traversa l’esprit. En jaugeant les
policiers, il avait deviné qu’il courait plus vite qu’eux. Mais ils devaient
être armés. Ils tireraient. Et n’y en avait-il pas un troisième en bas ?
    Ces réflexions empêchèrent Bridet d’agir et
quand, au rez-de-chaussée, il s’aperçut qu’il n’y avait personne, il fut pris
de colère contre lui-même. Le concierge, se doutant de quelque chose, faisait
semblant de

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