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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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balayer devant la porte. Bridet, qui ne lui avait jamais parlé, lui
serra la main.
    — Vous vous en allez ? demanda le
concierge d’une voix triste où perçait un intérêt venant du cœur.
    Bridet ne répondit pas. Il venait d’apercevoir
une voiture arrêtée un peu plus loin. C’était une vieille petite voiture à deux
places dont le pare-brise était cassé. Les administrations n’avaient plus à
leur disposition le beau matériel d’avant-guerre. Il était réservé aux
Allemands. Et le modeste travail quotidien se faisait avec des moyens de
fortune.
    Au moment de monter, il s’en fallut encore
de peu que Bridet ne prît la fuite. Si, pendant que les inspecteurs tournaient
autour de la voiture, le hasard avait fait qu’ils se fussent trouvés d’un côté
et lui de l’autre, il n’eût pas hésité. Mais cette éventualité ne s’était pas
produite et, bien qu’il eût traîné le plus longtemps possible, il dut
finalement s’asseoir entre eux.
    Dans la « Simca », le bras d’un
inspecteur passé derrière son cou, non pour l’empêcher de fuir mais par
commodité, Bridet réfléchissait à ce qui venait d’arriver. C’était Yolande qui
avait tenu absolument à ce qu’il regagnât le domicile conjugal. Tout à coup, un
soupçon affreux lui vint à l’esprit. La coïncidence était extraordinaire. Juste
le lendemain du jour où elle était venue le chercher, deux policiers se
présentaient chez elle. C’était à croire que Yolande y était pour quelque
chose. Non, ce n’était pas possible. S’il y avait un responsable, c’était
lui-même. Il ne faut jamais s’en prendre à autrui lorsque survient un malheur,
mais à nous-mêmes. « Je n’avais qu’à faire ce que j’avais décidé », murmura
Bridet. Mais comment eût-il pu se douter de ce qui arriverait ? La police
française semblait absente de Paris. Comment supposer qu’elle existait
toujours, alors que les Allemands surveillaient et contrôlaient tout ?
    En arrivant au dépôt, un incident bizarre
se produisit. Tant qu’il avait été chez lui, dans la rue, dans l’auto, tant qu’il
y avait eu malgré tout une possibilité de fuir, Bridet justement pour ne pas
montrer son jeu, avait été très calme. Mais dès que la porte de la prison se
fut refermée sur lui, la colère l’envahit. Comme dans le couloir on le poussait
un peu familièrement, il s’arrêta soudain, disant qu’il ne ferait pas un pas de
plus, qu’on n’avait pas le droit de l’arrêter, que c’était une honte, qu’on n’arrêtait
pas les gens sans leur dire pourquoi. Un inspecteur le prit par le bras. Alors,
perdant tout contrôle de ses actes, Bridet se dégagea avec violence en criant
qu’il interdisait qu’on le touchât. De l’étonnement se peignit sur les visages
des policiers qui se trouvaient là. À ce moment, Bridet se conduisit d’une
façon tellement extravagante qu’il apparut à tous qu’il avait perdu le sens de
la réalité. Interprétant cette seconde d’étonnement naturel comme le signe qu’il
était plus fort que tous ces hommes réunis, il s’était approché d’une porte et,
sans se rendre compte du ridicule de sa conduite, il avait dit au garde mobile
qui la gardait : « Ouvrez immédiatement ! »
    Il n’eut pas le temps de prononcer un mot
de plus. Deux hommes s’emparèrent de lui. Ils dirent : « Il ne faut
pas nous la faire à l’intimidation. » Bridet esquissa un mouvement de
défense mais il reçut une gifle. Il faillit répondre, mais tout à coup il
comprit que c’était de la folie. Bien qu’il éprouvât le besoin de frotter sa
joue, il ne porta pas la main à son visage.
    — Vous êtes des canailles, cria-t-il.
    L’inspecteur aux traits fins s’approcha de
lui, la main levée :
    — Retirez ce que vous venez de dire.
    — Vous êtes des canailles, répéta
Bridet.
    L’inspecteur se mit à rire, affectant de ne
l’avoir menacé que pour lui faire peur.

15.
    Bridet, contre l’usage, resta très peu de
temps au dépôt. On le conduisit d’abord à l’identité judiciaire, mais là un
différend administratif s’éleva et l’on ne procéda pas aux formalités
habituelles. Il était visible que les fonctionnaires étaient un peu déroutés
par la nouvelle juridiction. Bridet les regardait se débattre avec hauteur. À chaque
instant, il leur demandait avec un faux sérieux : « Qu’est-ce que je
dois faire ? Est-ce que je vous attends ? » Ils ne

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