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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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par la valse, il avait ressenti l'attrait physique d'Ottilia, mais n'avait perçu des pensées de l'Anglaise que ce qu'elle acceptait d'en laisser deviner. Bien qu'il souhaitât s'en défendre, un tourbillon de titillements sensuels l'assaillait au souvenir encore frais du visage de la femme, proche du sien, du corps souple cambré sur son bras, de leurs pas appariés. Arête du nez légèrement busqué, bouche entrouverte, lèvres humides, veine bleue sur la tempe lisse, souffle tiède d'une haleine, seins fermes frôlant son torse, hanche mouvante sous sa main composaient une image érotique figée dans sa mémoire, comme les reliefs d'un cachet dans la cire molle.
     
    Il n'ignorait pas que, pour certaines femmes, le choix d'un amant commence par une sorte de joute avec l'élu. Il savait aussi par Malcolm Murray qu'Otti aimait à subjuguer par jeu, par orgueil, par provocation, pour s'assurer qu'elle détenait plus que d'autres le pouvoir, au demeurant assez commun, des séductrices.
     
    À la nuit tombée, Charles Desteyrac avait réduit l'épisode du bal de fiançailles à ce qu'il devait rester : un événement mondain, teinté pour lui d'un vague émoi charnel. Les rites d'Orphée, la musique, la danse et le vin lui étaient assez familiers pour qu'il sût se protéger de leurs effets. Dès lors, il ne pensa plus qu'à la tâche qui l'attendait dans la ville la plus enfumée de l'Union.
     

    Le second séjour de Charles Desteyrac à Pittsburgh devait se prolonger bien au-delà de ce qu'il escomptait. Dès le premier jour, il retrouva avec plaisir l'ingénieur Robert Lowell, qui, pour lui éviter l'hôtel, avait retenu à l'intention de son collègue français une chambre chez sa logeuse.
     
    – C'est très confortable, le petit déjeuner est copieux, la propreté irréprochable, mais trois choses sont interdites : amener des dames, fumer dans la maison, et jouer aux cartes le dimanche.
     
    Desteyrac s'accommoda fort bien de ces restrictions, de rigueur dans une ville où cabarets et tavernes restaient clos le jour du Seigneur, parce qu'on ne pouvait boire que de l'eau et chanter que des hymnes.
     
    Le retour du Français permit de faire accélérer la fabrication des éléments du pont. Dès qu'il avait examiné et accepté une pièce, les ouvriers l'enduisaient d'huile bouillante, protection efficace, assurait Lowell, contre la rouille. La peinture ne serait appliquée qu'après la finition.
     
    Quand tous les éléments, poutres, longerons, entretoises et autres contrefiches furent réunis dans un hall, Charles et Lowell, assistés de pointeurs, marquèrent les emplacements des orifices destinés à recevoir les rivets lors de l'assemblage du pont à Soledad.
     
    Pour le perçage de centaines de trous, les ingénieurs préférèrent à la machine à percer hydraulique, qui ne perforait que des tôles de quelques millimètres d'épaisseur, le chalumeau oxhydrique inventé en 1802 par un ingénieur de Philadelphie, Robert Hare, et perfectionné depuis par l'ingénieur Newman et le minéralogiste Edward Daniel Clarke. Le gaz oxhydrique, composé de deux volumes d'hydrogène pour un volume d'oxygène, dégageait, une fois enflammé au bec du chalumeau, une chaleur capable de forer des trous au contour précis dans les éléments les plus épais du pont. Ce travail prit des semaines, les ouvriers ne disposant que de trois chalumeaux à manier avec précaution, bien que leurs outils fussent alimentés en hydrogène et oxygène par des tuyaux séparés afin de limiter les risques d'explosion du mélange.
     
    Pendant ces travaux, des forgerons confectionnèrent plus d'un millier de rivets en fer doux qui, chauffés à blanc, seraient mis en place et matés au marteau par les ouvriers arawak lors de la construction du pont à Soledad.
     
    Les ingénieurs suivirent aussi la fabrication des rails, rouleaux et galets grâce auxquels serait un jour opéré, aux Bahamas, le lançage d'un ouvrage qui, dans les halls de Keystone Bridges Works, attirait bien des curieux. Ces appareils de roulage devaient être établis de façon minutieuse afin d'éviter toute déviation pendant le mouvement du pont, qui serait tiré au moyen de cabestans, d'une rive sur l'autre, au-dessus de Devil Channel.
     
    Au cours de l'automne et de l'hiver 1855, Charles Desteyrac et Robert Lowell occupèrent leurs loisirs en excursions, chasse et pêche. Ils visitèrent d'abord Philadelphie, l'Américain voulant montrer au Français une

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