Le Pont de Buena Vista
Apollo et le brick Argonaut , que je commande quand je ne suis pas de service sur le Phoenix . Manque à notre flotte le Centaur , envoyé par Cornfield en Caroline du Sud, sous commandement du capitaine Philip Rodney, dit l'officier.
– Investi de la délicate mission qui consiste à reconduire lady Ottilia à son père, compléta Charles, ironique.
– Je ne voudrais pas être à la place de Philip. La demoiselle ne sera pas d'une capture facile ! s'exclama Tilloy en riant.
Pendant cet échange, la voiture avait contourné un groupe de cottages blancs disséminés entre pelouses, massifs de fleurs et bouquets d'arbustes, au bord d'une baie abritée.
– Sailors Creek, le village des marins, dit Mark, désignant les maisons. Les chargés de famille disposent d'un cottage et de cinq arpents de terre cultivable. Les célibataires logent, par affinités, dans d'autres maisons. Lord Simon a fait démolir les grandes baraques, genre casernes, construites autrefois par son grand-père pour abriter les équipages. Il a voulu que chacun ait une demeure confortable. C'est pourquoi nos matelots et quartiers-maîtres sont attachés à Soledad. Aucun armateur ne pourrait les traiter mieux, et tous le savent. Seuls les officiers habitent, comme vous, le major Carver et quelques personnes de qualité, le hameau voisin de Cornfield Manor.
Tandis que la route sinuait entre mamelons pelés et tertres verdoyants que seuls les îliens osaient nommer collines, Charles découvrit des cultures ordonnées, des chemins tracés au cordeau, des bosquets disciplinés comme bataillons d'infanterie, où dominaient le pin de Norfolk, le pitchpin, l'acajou et le petit gaïac.
– Le gaïac est l'arbre porte-bonheur des Lucayens. Son bois est le plus dense et le plus dur que l'on connaisse. Nous en faisons des poulies, des galets, des espars pour nos navires. Les Indiens utilisent sa résine balsamique dans toutes sortes d'onguents, expliqua Tilloy.
Dans les prairies, des bovins broutaient une herbe courte qui ne poussait qu'au lendemain des pluies, parfois inattendues et violentes, mais toujours bienvenues sur une île que n'arrosait ni rivière ni ruisseau.
– Ici, l'eau vient du ciel et de quelques sources qui suffisent à peine aux besoins de la population. Les puits proches des rivages ne livrent que des eaux saumâtres dont le brouet des indigènes s'accommode, mais pas notre thé, exposa le lieutenant.
– Je comprends pourquoi Cornfield a fait venir d'Angleterre des puisatiers. Il espère sans doute qu'ils pourront forer de nouveaux puits d'eau douce, dit Charles.
– On peut toujours le croire ! Mais, entre nous, j'ai quelque doute à ce sujet. Ces hommes me paraissent un peu étranges. Ils vivent, paraît-il, sous une tente, près de leur matériel, comme s'ils craignaient qu'on le leur vole.
– Les puisatiers bivouaquent souvent sur les lieux de forage, observa Desteyrac.
– Peut-être est-ce le cas. Ils ont commandé à Tom O'Graney un fort chevalet pour y suspendre un palan. Mais Tom ignore l'endroit où ils se trouvent. Ils ne tiennent pas, semble-t-il, à le faire savoir, puisqu'ils ont répondu à notre charpentier, qui se proposait de livrer le matériel, qu'ils viendraient eux-mêmes en prendre livraison au port du Levant. Ne trouvez-vous pas qu'on fait beaucoup de mystères autour de ces futurs puits ? acheva Tilloy sans livrer son arrière-pensée, mais guettant la réaction de Charles.
– Vous avez sans doute vu, comme moi, que leurs caisses contiennent un scaphandre Siebe et une pompe à air de plongeur. Ce ne sont pas des outils de puisatiers, fit Charles.
– Peut-être veulent-ils descendre dans les trous bleus ? émit Tilloy.
– Il s'agit peut-être d'évaluer l'épaisseur de la couche d'eau douce qui surnage sur l'eau salée. Comme la densité de la première est inférieure à celle de la seconde, que renouvelle à chaque marée l'océan avec lequel vos trous bleus sont en communication par des galeries souterraines et des grottes, l'eau pluviale reste en surface. Mais elle ne doit pas exister en grande quantité, observa Charles.
– Détrompez-vous. À Nassau, on sait déjà recueillir assez d'eau douce pour alimenter les citernes et certaines demeures : la résidence du gouverneur, entre autres, précisa Mark.
– On peut donc supposer que nos puisatiers ont l'intention d'établir un système pour capter
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