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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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prince eût pu sourire, il ne le fit pas. Tristan se sentit dévisagé avec plus d’attention que jamais.
    – Ce soir, Thomas l’Alemant ira vous quérir… Vous trouverez céans cinq hommes des plus fiables… Avec les cinq qui sont à vous et ceux-là, vous galoperez vers le nord… Au Crotoy, vous prendrez logis à la Belle Pomme. Il convient que vous y arriviez par deux ou trois… Édouard et Navarre ont des gens à eux partout et les messages qu’ils s’envoient sont plus véloces que les nôtres, vu qu’ils ont des complicités qui nous sont, hélas ! inconnues.
    – Hélas ! Monseigneur, je sais cela et serai méfiant.
    – L’hôtelier vous mènera jusqu’au marinier qui commande la Goberde. Il a pour nom Benoît Calletot, et son père périt dans les eaux de l’Écluse, il y a plus de vingt ans… Il vous mènera où il faut… Bien sûr, sa nef battra bannière d’Angleterre… Je ne sais comment vous nagerez 168 , mais ce dont je suis certain, c’est que Calletot connaît bien une grosse langue de terre dans l’estran 169 de la Tamise. Au levant, on y trouve Rochester, au ponant, Gravesend. Le reste n’est que forêts, friches et halliers où se musser… Vous trouverez aisément le manoir de Cobham et vous vous saisirez de l’héritier d’Angleterre.
    Bien qu’il eût parlé très bas, comme s’il allait participer à la conspiration dont il avait ourdi soigneusement la trame, la voix quelque peu sifflante du prince avait une ampleur singulière. On eût dit un homme dont la détermination, depuis toujours, avait déjoué toutes les adversités. Cependant, Tristan ne se sentait aucunement subjugué par cette expression d’une ténacité farouche : il en connaissait les limites. L’entreprise à laquelle il était convié lui paraissait certes émouvante, décrite ainsi, dans cette paisible retraite, mais quasiment impossible à réussir sitôt franchie la jetée du Crotoy. Sous quelle influence monseigneur Charles avait-il conçu cette opération ? Quelle femme lui avait rendu visite ? S’agissait-il d’une Anglaise ? En tout cas, il fallait qu’elle fût de l’entourage immédiat de la belle Jeanne pour être ainsi informée.
    – Vous réussirez pour moi, compère, cette prouesse. Les siècles en conserveront merveilleuse souvenance !
    Cela, songea Tristan, n’était qu’un onguent sur une conscience à vif : la sienne.
    – Je veux me revancher, ami, de tous ceux qui m’attribuent des imperfections et des malices affreuses ! Cela dure depuis Poitiers !
    La brûlure persistait dans la chair et l’âme du couard qu’il était alors. Il voulait l’éteindre, obtenir sa grande victoire mais, contrairement à son père, sans en éprouver les périls. Il se mit à marcher de nouveau et enfin délivra sa dextre qu’il dissimulait sous sa manche longue, trop longue, et taillée en barbes d’écrevisse. C’était une main énorme, bouffie de graisse, mouillée d’un sang violet, variqueuse, avec des doigts pareils à des boudins blancs. Si sa femme acceptait de se faire mignoter, ce n’était pas par cette espèce de méduse (481) .
    – Vous réussirez !
    Tristan hocha la tête. Dans quel piège pernicieux ce valétudinaire l’envoyait-il tomber ? Atteindrait-il seulement la côte d’Angleterre ? Il fit un mouvement pour s’éloigner. La grosse dextre chut comme un marteau sur son épaule. La voix princière devint doucereuse :
    – Je sais à quels émois votre âme est occupée… Je ne cesserai de penser à vous, de prier pour vous.
    La main pote 170 , horrible, se leva. Tristan soupira. Même s’il réussissait à approcher le fils d’Édouard III, même s’il parvenait à le capturer, il y aurait le retour.
    « Nous aurons les nefs anglaises au cul, et devant nous, si par malheur nous nous attardons par le fait de quelques vents contraires, tous les soudoyers de la Navarre et de l’Angleterre sur les bandes 171 de Normandie qui en sont infectées… Et les routiers !… Si je reviens ici gros Jean comme devant, cet impotent m’accusera peut-être de nullité ! »
    L’impérieuse exigence de la vassalité supprimait toutes les objections :
    – Je ferai de mon mieux, monseigneur.
    – Que vous faut-il ?
    – Rien d’autre que la compagnie de la divine Providence.
    Charles parut retrouver avec plaisir les accotoirs de sa haute chaire.
    – Et une grosse bourse, Castelreng, pour obvier à tous les inconvénients d’un long chemin.

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