Le poursuivant d'amour
mon épouse… La Margot est imprévisible, pas la mer… J’ai atteint la quarantaine et, le matin, j’ai les jambes roides comme deux artimons… Je voudrais, si le roi me récompense comme il me l’a promis, acquérir une auberge…
Rivé au plancher, Calletot riboulait autour de lui, au-delà de son bâtiment, ses prunelles bleu pâle, voilées dans des sclérotiques rougeâtres, bilieuses dont, en faisant sa connaissance, Tristan s’était inquiété. « Ou il boit fort ou il est malade. » Mais justement, Calletot n’était pas un soiffard. La mer l’avait tanné, blanchi et salé, peut-être de l’intérieur.
– Je vous attendrai jusqu’à l’aube… Si vous voulez un conseil, ne vous obstinez pas au cas où le Woodstock serait très entouré : gardes et serviteurs… Vous ferez quérir dans ma couchette les deux seaux de suie que vous m’avez demandés. Barbouillez-vous bien les mains et le visage ; enduisez soigneusement aussi les aumusses que vous porterez… C’est une bonne idée d’avoir renoncé aux mailles : vous serez plus légers… Ah ! Certes, vos hoquetons noirs sont des habits fragiles… C’est pourquoi, si votre aventure tourne mal…
– Nul ne sait, sauf le roi, le dessein du régent… Tout périlleux qu’il soit, j’avoue qu’il me passionne… Nous sommes peu, avec pour armes nos épées enveloppées de laine épaisse, nos poignards et coustilles, deux hérissons (483) et dix aunées 177 de corde. Je me réjouis d’avoir été choisi.
Laissant seul Calletot, Tristan fit quelques pas sur le pont puis, après un arrêt, marcha jusqu’à la proue. « Tu te réjouis ? Menteur !… Tu penses à la mort, tu penses à Oriabel… Tu te dis que si Tiercelet était à tes côtés, tu aurais davantage de confiance que tu n’en as montrée à Calletot… Et ce n’est pas le vent qui te fait tressaillir ni la hâte d’être dans l’action : c’est la peur, la peur toute bête. » Il recouvrait sa morosité du départ, lorsque, sur la jetée du Crotoy, il s’était trouvé devant cette petite nef qui, pour ne pas paraître suspecte, devrait naviguer lentement et serrer de près les rives d’Angleterre. Personne sur les quais ténébreux du bassin. Aucun autre adieu que celui de l’épouse de Calletot, une petite femme enfouie dans une houppelande grise… « Tu te réjouis ? » Allons donc ! En voyant s’éloigner la terre de France, il eût presque versé des pleurs. Maintenant, c’étaient des lieues marines qui le séparaient d’Oriabel… Oriabel qui, où qu’elle fût, le croyait à Montaigny et l’imaginait accomplissant avec zèle ses devoirs de mari… « À dieu-vat », avait dit Calletot. « Regardez devant vous, messire » Et l’on avait piqué vers le ponant tout en s’installant à bord dans une fausse gaieté qui ne subsistait plus. « On réussira », répétait Paindorge pour s’en persuader. Et Callœt, à la conscience robuste : « On y mettra tout notre cœur. » Tristan soupira et jeta dans l’air, à mi-voix :
– Nemo dat quod non habet !… Nul ne donne ce qu’il n’a pas. Callœt n’a pas de cœur et me fera des difficultés…
Il vit venir de loin une nef immense et recula jusqu’à Calletot.
– Ils commencent, messire, à allumer leurs feux… Je vais passer près d’eux… aussi près que possible…
Il sonna dans l’olifant qu’il portait en sautoir. Aussitôt ses marins furent sur le pont.
– Saluons-les quand nous en serons proches…
Tristan recula encore, s’assit sur l’escalier du château de poupe et, fermant les yeux, attendit. Bientôt, le souffle immense de la nef lui fut perceptible, et les bruissements des voiles éployées. À quoi bon ouvrir les paupières : ils allaient passer… Ils passaient… On criait d’un bord à l’autre.
– C’est le Christophe… Des guerriers, encore des guerriers en partance pour Calais ou la Bretagne… ou l’Aquitaine.
– Et si le prince de Galles était dedans ? interrogea un homme d’équipage.
– Cela ne change rien à notre dessein, dit Tristan, heureux que ses compagnons ne fussent pas montés sur le pont. Nous devons aller au manoir de Cobham.
– Dire qu’ils nous ont pris pour quelques-uns des leurs, ricana Calletot. Il faut croire que nos bannières sont parfaitement ressemblantes.
– La bonne chance est avec nous, messire, dit Callœt.
Il avait fallu qu’il montrât son nez.
– L a Goberde est
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