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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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secrètement quelques nefs au Crotoy. Commandés par Jean de Neuville et Pépin des Essarts, le justicier d’Etienne Marcel, deux mille hommes s’y étaient embarqués. Des vents contraires avaient empêché les actions prévues à Sandwich, Portsmouth et Southampton, mais le 15 mars, Winchelsea, l’un des ports les plus importants, avait été assailli, mis à sac et réduit en cendres. Ensuite, Neuville avait cinglé vers Calais sans pouvoir enfoncer les défenses anglaises. Il s’en était allé jeter l’ancre à Boulogne.
    – On raconte, monseigneur, que lorsqu’on le prévint de ce débarquement et de ses conséquences, Édouard III devint comme fou. Il était alors en Bourgogne ; il a randonné vers Paris sans rien laisser debout sur son passage.
    – À Londres, mon père apprit qu’il était venu jusque sous les murs, de notre bonne cité tandis que ses nefs remontaient le cours de la Seine et que ses démons faisaient à Honfleur ce que nos guerriers avaient fait à Wesincé (476) … Mais je n’ai pas dit mon dernier mot !
    Tristan se demanda si cet homme – son aîné de deux ans – vivrait longtemps et, dans cette improbable occurrence, s’il serait un grand roi. Son aspect ne serait pour rien, évidemment, dans sa renommée. « Il est aussi haut que moi, ses épaules sont larges et tombantes… » Sous le hoqueton de camocas bleu ceint de cuir noir clouté d’or, le ventre était celui d’une femme grosse de quatre ou cinq mois. Les yeux, serrés dans des paupières lourdes, étaient pareils à des avelaines ; les lèvres exsangues : une mollesse continuelle en contrariait l’avidité. Non rien dans ce visage au nez gros et tombant, au menton pesant piqueté de barbe blonde, ne révélait le grand estoch (477) , ni même une quelconque force de caractère. Ce que Tristan y découvrait présente ment, c’était une sorte d’onctuosité quasiment ecclésiastique traversée de volitions, d’entêtements, de colères et de haines sourdes. À vingt-cinq ans, Charles de France semblait usé, flétri. Par une trop bonne chère ? Nullement : il passait pour sobre. Par des excès d’amour ?
    Marié sitôt douze ans à Jeanne de Bourbon, aussi jeune que lui, et maintenant père de famille, il semblait qu’il fût tout aussi peu enclin aux plaisirs du lit qu’à ceux de la table. Par les alarmes et les vertiges du pouvoir ? Sans doute : dauphin à onze ans, régent à dix-huit, rien ne lui avait été épargné. Une fuite honteuse à Poitiers alors que son puîné, Philippe, demeurait aux côtés du roi Jean 161  ; une inquiétude mortelle sous le règne scandaleux d’Etienne Marcel. Puis il s’était accointé au roi de Navarre, et l’on disait qu’à l’instigation du Mauvais, il avait essayé d’enherber son père. Voyant la volonté de meurtre de son cousin défaillir et craignant d’être dénoncé, le Navarrais lui avait fait boire un vin empoisonné (478) . Sans doute était-ce, outre la maussaderie qu’il dégageait, la raison de son aspect maladif, de son regard terne et de son teint blême. Pour dissimuler l’alopécie qui lui faisait un crâne aussi nu et gris qu’un œuf d’autruche, il portait un chaperon de velours bleu, aux cornettes nouées sur sa nuque et d’où des cheveux longs dépassaient par touffes clairsemées.
    – L’Angleterre n’est pas invincible, Castelreng ! Je l’ai prouvé, je le reprouverai !… Ah ! Si seulement je…
    « Régnais », pensa Tristan, le front baissé moins par dérérence que pour dérober à l’attention du régent une expression d’incrédulité.
    Il voyait mal cet être pâle, un peu courbé, se travestir en roi, et les grelots de la marotte du fou de Jean II, qu’il entendait non loin de là, ne rendaient pas un son qui pût s’harmoniser avec l’éclat d’une royauté nouvelle, différente de celle du vaincu de Poitiers, chargée d’orages triomphants et d’éclairs aveuglants pour toute l’Angleterre.
    – L’idée qui m’est venue est bonne… grandissime, et son accomplissement certainement aisé pour un chevalier tel que vous. Selon les dires de mon père, votre captivité à Brignais vous a enseigné mille choses… Vous saurez mettre à profit les astuces en usage chez les routiers…
    Le prince Charles planta ses yeux dans ceux de son féal immobile et inquiet, tout en dissimulant dans son dos sa grosse dextre exsangue :
    –  Mon père a signé avec les Goddons un traité qui est une

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