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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cheval de Luciane.
    – Nous irons donc en Normandie ?
    – Je ne le sais encore… Mais si, merdaille, je le sais ! s’emporta Tristan avant de conclure, soudain repenti : Robert, tu m’ennuies !
    Une douloureuse sujétion le retenait d’agir franchement. Il ne se sentait ni la nécessité d’abandonner Luciane ni la force de renoncer, pour elle, à Oriabel. Cette nuit, sans qu’elle le sût, sans que Paindorge s’en doutât, il n’avait guère fermé les yeux, savourant par le souvenir la pesée du beau corps d’Oriabel dans ses bras et imaginant aussi la tiédeur, l’exquisité de ce qu’il avait entrevu avant de monter à l’échelle de la Goberbe.
    –  Luciane…, murmura-t-il en quittant l’écurie.
    Pourquoi trouvait-il donc ce nom si délectable dès qu’il le prononçait en secret ? Pourquoi découvrait-il tant de suavité à cette voix de jouvencelle et de magnificence dans ses regards même s’ils se posaient ailleurs que sur sa personne ? Pourquoi s’émouvait-il tellement lorsqu’il se disait : « Elle m’aime » ? Luciane n’avait rien fait pour l’enganter. Toute sa capacité d’amour s’était concentrée sur un inconnu barbouillé de suie auquel elle était venue spontanément en aide et qui, par une sorte de réciprocité jonchée de périls mortels, l’avait rendue à une liberté dont l’immensité l’apeurait sans qu’elle osât se confier ni à lui-même ni à Paindorge.
    « Elle m’aime », se répéta-t-il, « et je n’ai pas coqueliné 266 pour obtenir cet amour qui s’est consolidé du Crotoy à Vincennes sans que jamais je ne l’encourage ni ne m’en réjouisse. »
    Mais comme il en eût agréablement profité si le souvenir d’Oriabel s’en était allé en charpie dans les roncières d’Angleterre !
    « Avions-nous besoin, elle et moi, et tout autant l’un que l’autre, d’éprouver cette malaisance et de nous empêtrer dans nos sentiments ? Nous ne savons plus où nous en sommes, moi d’une fidélité sans doute absurde, elle d’une reconnaissance qu’elle confond peut-être avec… »
    Avec quoi ?
    Entre l’amour et l’amitié, Luciane ne connaissait aucun penchant intermédiaire. L’amitié, c’était pour Paindorge ; l’amour pour lui, Tristan. Il avait connu d’emblée le caractère d’Oriabel et deviné celui de Mathilde, une fois libéré de l’engouement sensuel qu’il lui inspirait. Il s’interrogeait sur Luciane. Elle était comme ces cartes étalées sur la table d’une devineresse : il ne savait jamais laquelle il retournait. Lorsqu’il essayait de lui tirer un rire, elle se montrait d’une sérénité de nonnain. En fait, elle riait peu. Depuis leur rencontre à Cobham, il la sentait hantée par cette avidité passionnée que donne à tout être sensible la nouveauté du premier amour. Face à cette convoitise, il éprouvait le contentement d’un usurier recevant cette prometteuse tendresse en acompte, sans impatience d’en obtenir le reliquat.
    Ici, à Vincennes, et bien qu’on vît circuler du matin au soir maintes femmes et jouvencelles désirables, Luciane attirait les regards : les bouteillers, palefreniers, fauconniers qui passaient maintenant devant elle lui adressaient un salut accompagné de mots aimables. L’un des breniers 267 du roi s’arrêtait même pour qu’elle caressât le grand lévrier poilu qu’il tenait en laisse.
    – Vous avez vu ? dit-elle quand l’homme et la bête se furent éloignés. Il s’est laissé faire… D’ordinaire, les chiens de Tartarie 268 grognent et mordent…
    Tristan sourit. Une impression de repos heureux atténua le malaise où l’avait mis, soudain, le nom seul d’Oriabel. Elle eût, elle aussi, caressé ce chien et se fut réjouie qu’il n’eût pas montré les crocs. Où était-elle ?
    Il eut soudain la certitude qu’à l’instant même, elle pensait à lui. Et Tiercelet également, qui la consolait de bons mots et tapotements sur l’épaule.
    – Nous allons partir.
    – Vous et Paindorge ?
    La belle voix un peu rauque révélait un effroi dont il fut pénétré.
    – Moi, Paindorge et vous.
    – Pour la Normandie ?
    Comme il eût voulu lui dire : « Oui. » Mais il ne le pouvait. Il ignorait ce qu’il allait faire. Il espérait qu’un événement infléchirait le cours du destin et qu’il s’y livrerait sans s’interroger sur son opportunité.
    – Je ne sais… Mais nous allons trouver le gîte et le couvert

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