Le poursuivant d'amour
revenez, sans l’otage espéré par monseigneur Charles.
Il souriait, les sourcils effrichés par le bord de son chaperon noir.
– L’amertume vous passera.
Les yeux pâles, animés mais avec lenteur, les joues fades, la petite bouche en trait de lame n’assignaient pas à ce visage et à cet homme une place si prépondérante auprès de l’héritier de la couronne. Messire l’Alemant avait en lui du clerc et du boutiquier. À quoi bon, en ce cas, prolonger ce moment :
– Messire, dit Tristan sans affabilité, j’ai eu le prince de Galles devers moi plus près que vous encore. Le malheur n’a pas voulu qu’il m’échappât, mais que mes hommes et moi nous trouvions tout à coup assaillis et dans l’impuissance de résister… Me serait-il possible, puisque je vous trouve, d’aller quérir mon armure en votre compagnie ?
– Évidemment.
Tristan héla Paindorge assis sur une planche posée sur deux glènes de gros cordages.
– Viens… Tu ne peux te servir que d’un bras et porteras ce que tu pourras.
Puis à l’huissier d’armes :
– Messire l’Alemant, j’ai ramené à Vincennes les chevaux de nos malheureux compagnons… Ils sont dans la seconde écurie. Des palefreniers s’en occupent.
– Ils sont à vous.
– Qu’en ferais-je ? Dites à messire Chalemart qu’ils lui appartiennent. Cela diminuera d’autant l’emprunt que je lui ai fait en arrivant à Vincennes démuni de tout. Je ne conserverai que le cheval arzel 259 qui était celui de Pagès. Il est aussi doux qu’une haquenée.
– Vous allez partir ?… Le roi compte sur vous pour son voyage d’Avignon certainement en septembre.
– Il peut y compter, messire… Je viendrai à Vincennes de temps à autre afin de m’informer du jour de son départ et de prendre mes dispositions… Je vais essayer de trouver un logis soit au village, soit à Paris. J’ai besoin, ces temps-ci, de recouvrer force et quiétude.
Tandis qu’il parlait, Tristan laissait ses regards errer le long des murs du donjon, sur le moutonnement des maçons, charpentiers et tailleurs de pierre. La blancheur ivoirine de l’édifice, enfoncée dans le ciel gris-noir, en accroissait la hauteur. Des pigeons semblaient attendre le moment de prendre possession de ses redans et de son faîte.
– Dès que possible, messire l’Alemant, je vous dirai où j’ai pris logis et laisserai aussi, à l’entrée, l’indication de mon logeur.
Ils étaient parvenus devant la porte de l’armerie. Sur un signe de l’huissier d’armes, un des gardes poussa le vantail. Tristan ne vit rien d’autre que l’armure en pièces étalée sur les dalles au lieu même où il l’avait laissée. Il se coiffa du bassinet, se fit attacher sur lui le plastron muni de ses tassettes et la dossière, enfourna sa main dans le colletin et prit sous chaque bras une jambière de fer ; Paindorge n’eut plus qu’à se charger des brassards auxquels pendaient les gantelets.
– Je souhaite que dedans vous fassiez merveille !
– Je m’y emploierai, messire… Pas tant que Bertrand Guesclin, toutefois !
Le visage de Thomas l’Alemant refléta une sorte de mécontentement :
– Pourquoi dites-vous cela, Castelreng ?
– Monseigneur Charles m’a dit assez crûment qu’il aurait réussi là où j’ai échoué.
– Bah ! Il s’est emblavé 260 pour ce Breton laid comme un diable depuis qu’il le vit au siège de Melun… C’est un homme qui a la bonne chance avec lui et jouit de hautes protections : Pierre de Villiers, puis Philippe, duc d’Orléans… Arnoul d’Audrehem… Charles de Blois, le duc d’Anjou et, bien sûr, Monseigneur. Cet homme-là est né sous une bonne étoile.
Thomas l’Alemant avait détaillé tous ces noms en manière de défi, de sa voix affinée d’homme accoutumé au langage des Grands, et qui témoignait d’une patiente et peut-être terrible volonté de transmutation humaine. Sans doute était-il de petite naissance, sans doute avait-il eu, lui aussi, des protecteurs. Il dit, ainsi qu’un prêtre : « Allez en paix », et d’un pas qui danso t ait un peu, il s’éloigna parmi les manouvriers qui le saluaient bien bas.
– Viens, Paindorge, dit Tristan aussi mortifié qu’inquiet.
– Il faudrait, suggéra l’écuyer, vous occuper de la pucelle… Voyez, elle est là-bas, assise sur le montoir… Vous ne pouvez l’abandonner.
– Qui t’a dit que je l’abandonnais ?
Paindorge, solidement
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